"L'Interlope" de Serge Bagdassarian au Studio de la Comédie-Française : les oiseaux rares sortent de nuit

À voir si : vous avez le cœur passionné et bien accroché

Jusqu'au 30 octobre 2016
au Studio de la Comédie-Française


"Je peux dire que je suis rare. Pas vraiment fille, pas vraiment garçon"

L'Interlope, Serge Bagdassarian


La Comédie-Française nous invite avec une grande élégance dans le monde de la nuit, celui interlope des cabarets transformistes des années folles. Du rire aux larmes, ces « clowns tristes » qui ne sortent que la nuit ont le courage du désespoir et de l'espoir. Sublime. 

Le Studio-Théâtre de la Comédie-Française invite déjà au partage de l'intime. Les fauteuils en velours rouge font face à une petite scène entourée d'une guirlande lumineuse et protégée d'un beau rideau de velours bleu. Le cabaret est en place et il s'ouvre sur les coulisses. Un moment de partage poignant avec un homme à la nostalgie communicative...

Le fantasme du cabaret comme si on y était : entre grandeur et désespérance

Le rideau s'ouvre non pas sur la scène mais sur les coulisses, à elles seules fantasmes des spectateurs, secrète tanière des comédiens et de leurs états d'âmes. Ici, ce sont ceux d'hommes qui se déguisent en femmes à la nuit tombée, entre perles, corsets et maquillage (parfois) outranciers. C'est un homme en costume trois pièces, Tristan, (Très émouvant Michel Favory) qui commence la « confidence » attablé à ce petit bureau d'une loge de cabaret aux innombrables costumes tous plus éclatants les uns que les autres. Il égrène les noms de ses (anciens ?) amants, nostalgique, déchirant, vieillissant, digne. Tableau 2 : une femme (parfaite Véronique Vella), cette fois qui se vêtit en homme, Axel, smoking noir et nœud papillon de rigueur. La panoplie de la parfaite garçonne vient titiller nos imaginaires qui y verront un joli clin d'œil au « Victor Victoria » avec Julie Andrews. Elle voulait être un héros, avoir une épée de corsaire plutôt que des poupées, des jupes et des couettes. Entrée numéro 3 : la majestueuse Camille (l'incroyable Serge Bagdassarian au corps de sylphide qui lance coquet à l'assemblée un hilarant : « J'ai un peu grossi »). Sa confession est des plus déchirantes, révélée au public avec un abandon total, entre le besoin de dire, l'envie de provoquer (un peu) et celle de célébrer son être : « Je peux dire que je suis rare. Pas vraiment fille, pas vraiment garçon. » Arrivée numéro 4 : le fougeux Pierre (Très beau/belle découverte que ce nouveau Benjamin Lavernhe à qui le maquillage, les bas de soie et les gestes langoureux vont à merveille) qui s'attaque « avec un cintre en perles » (réplique hilarante) à son prédécesseur vieillissant, Camille, offusqué d'être relégué à l'arrière-plan de la revue. Pierre chantera sa vie et son désespoir sur le sublime morceau "From Amsterdam", lui, père de deux enfants et époux, qui aime à se transformer la nuit. Et enfin, place au spectacle : flamboyance et exubérance sont au programme n'étouffant pas cette profonde pudeur des intimes blessures qui transparaissent, entre douceur et force vive, dans les chants à double tranchant de ces clowns tristes de la nuit parisienne.

Des comédiens flamboyants narrant si bien des êtres en quête d'amour et de reconnaissance

« Aujourd'hui on connaît l'adresse mais on n'y vient plus. » Symbole d'un Paris oublié ou tenu secret, le cabaret « L'Interlope » fait revivre, le temps d'un numéro, ces faubourgs troubles et troublants où les homosexuels, hommes et femmes, se retrouvaient pour faire éclater leur vérité. Le désespoir est ici aussi étouffant que la quantité de plumes, strass et paillettes (superbes pièces venant du Moulin Rouge) portées par les trois comédiens. Il est omniprésent jusque dans les rires - jaunes - que provoquent chaque refrain des chansons hilarantes à la première note et au goût amer ensuite : « L'entendez-vous bien quand elle baragouine, gouine, gouine ? La baragouineuse... »; « Le trou de mon quai, y'a un quai dans ma rue et un trou dans mon quai. ». Les numéros de chacun sont superbes et les accompagnements musicaux (Benoît Urbain et Olivier Moret) d'une douce nostalgie et envoûtante frénésie : les voix entraînantes, émouvantes et réellement déchirantes. Mention spéciale au solo tragique et beau de Serge Bagdassarian, agrippant la main d'un homme de l'assemblée pour lui dire qu'il « ne veut pas l'aimer ». Michel Favory a la stature d'un tragédien, d'une pudeur à faire frémir. Véronique Vella en « patron » de la bande de saltimbanques, est une parfaite entertaineuse prête à faire rire ou... à pleurer. Et Benjamin Lavernhe est une révélation, fatale beauté en robe de velours rouge, chantant ses amours perdues dans les obscures allées des Tuileries...

Ce lieu reclus et secret dans lequel on nous propose d'entrer offre la formidable opportunité de dépasser les préjugés. Et de rencontrer l'Autre, au-delà de toutes castes socialement établies. "Hors de la société" pour mieux être "dans l'amour". Le final en est un hymne : « Parlez-moi d'amour, redites-moi des choses tendres. »

"L'Interlope"  conçu et mis en scène par Serge Bagdassarian

au Studio-Théâtre de la Comédie-Française
99, rue de Rivoli-Galerie du Carrousel du Louvre, place de la Pyramide inversée, 7501 Paris

Du mercredi au dimanche à 18h30.