Roman/Feuilleton - "Les Souffleurs" - *3

par Claire Bonnot

Dans l’épisode 1 et l’épisode 2, le petit Lili découvrait la pièce de sa vie aux côtés de son “papa de la route”, Firmin, en plein Paris, un soir de décembre 1897.

L’épisode 3 s’ouvre en décembre 1904, à Londres, pour la première de… “Peter Pan”.

2.
Au Pays du Jamais

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“Ce soir, il lui semblait que ses yeux s’ouvraient de plus en plus ainsi que son cœur. Par petits à-coups et battements réguliers, il opérait un mouvement inné de manière à emmagasiner tout ce qui se passait.”


Londres, 27 décembre 1904 – Première de Peter Pan ou le garçon qui ne voulait pas grandir par James Matthew Barrie au Duke of York’s Theatre.

Son papa lui tenait la main qu’elle tentait par tous les moyens de rendre la moins visible possible bien qu’elle ait été gantée de blanc. Sa maman avait malheureusement insisté pour qu’elle se comporte en « jeune fille convenable ». Sous son chapeau, dont le ruban mal fixé tombait malencontreusement sur son visage, elle se sentait toutefois un peu à l’abri de cette agitation vive qui les entourait. Elle avait compris qu’ils allaient voir une pièce de théâtre. C’était bien comme sur les images de ses livres d’étude : rouge et or. Un monde éclatant, étincelant jusqu’aux fauteuils d’orchestre - en velours - qu’elle avait effleurés sans le vouloir quand son papa avait pris son mouchoir alors que la dame imposante, qui n’avait pas cessé de les pousser dès l’entrée, avait continué à marcher, bousculant ainsi son pauvre papa et elle-même par la même occasion.
En longeant l’allée centrale, elle ressentit des émotions contradictoires, dans les deux cas difficilement supportables : une grande joie qui lui semblait trop lourde pour une petite enfant de son âge - bien que tous les amis de ses parents qui venaient prendre le thé l’aient congratulée d’avoir atteint « l’âge de raison » - et une peur qui lui donnait l’impression d’avoir été fendue en deux comme un vieil arbre pétrifié par la foudre.
Elle avançait ainsi de guingois, ce qui semblait agacer au plus haut point leur suiveuse acharnée, tandis que son papa, imperturbable, solennel, menait sa petite adorée vers un autel qui l’avait toujours fasciné : celui de l’expérience théâtrale. Sa capacité à occulter tous les désagréments qui l’entouraient pour se consacrer aux passions qu’il trouvait les plus louables, faisait de lui une nature parfaitement heureuse en toutes circonstances.

- Papa ne ressent pas ce que j’éprouve en ce moment, pensa Daphné en tournant le regard, soigneusement cachée sous ce chapeau de malheur devenu soudain un allié sûr. Quelle chance il a de pouvoir s’asseoir avec élégance et contentement au centre de cette grande salle peuplée de gens soufflant, toussant, éructant. Ce spectacle-là ne me plaît pas.

Soudain, des coups sourds retentirent et le minutieux stratagème de discrétion de Daphné s’effondra. Perdue dans ses pensées, elle réagit comme une écervelée à ce bruit qui semblait tout droit sorti du ventre d’une bête fauve : elle cria.

- Daphné mon enfant, ma chérie, ma petite, ce n’est rien. Redonne-moi ta main. Ce n’est que, que dis-je voyons, c’est le début d’une grande aventure et tu as le droit – non tu dois ! – crier, hurler, pleurer tant que tu le voudras. Écoute ....

C’était terrible. La salle toute entière s’était tournée vers eux. La salle toute entière avait entendu son hurlement – la maman de Daphné en aurait défailli. La salle toute entière - toutes des grandes personnes à première vue - avait écouté un père autoriser sa fille à se comporter comme la plus indigne des enfants capricieuses. Une rumeur offusquée accompagnée de petits rires étouffés, que Daphné soupçonna provenir d’enfants de son âge, parcoururent la salle, mais la première scène emporta heureusement tout sur son passage.

- Tous les enfants grandissent, sauf un. Ils savent très tôt qu’ils doivent grandir.

Il était une fois un certain M. Darling qui conquit le cœur d’une jeune Mary, qui devint ainsi Mme Darling. Ils eurent une petite Wendy qui vint la première, puis John, et enfin Michael.

- Non, il n’existait pas de famille plus simple, plus heureuse, avant l’arrivée de Peter Pan.

Daphné n’avait jamais rien vu de tel car, dans ses livres, rien ne bougeait, à son grand regret. Dans une sorte d’énorme grosse caisse à jouets ouverte sur le devant et non par le dessus, de vraies personnes s’animaient, prenant le thé, discutant et jouant avec leurs trois enfants comme si la petite fille avait espionné la famille des Banks par la fenêtre du petit salon de bibliothèque où elle se cachait de Rose, sa gouvernante, lorsqu’elle voulait lire sans que personne ne la voit. La perspective que l’on puisse découvrir ses émotions les plus intimes l’angoissait beaucoup et son papa et sa maman, ses chers parents, feignaient de ne la voir ni de l’entendre lorsqu’ils passaient devant la porte de la bibliothèque. Ici, elle avait le droit de s’immiscer dans la vie de cette famille Darling et comme son papa l’y avait autorisé avec une grande largesse d’esprit – et qu’elle était une petite fille très bien élevée – elle était décidée à intégrer ce nouveau monde.
C’était vraiment encore plus fort que dans les livres parce qu’ici l’histoire lui paraissait réelle. Ce monde ne pouvait qu’exister puisqu’elle pouvait le voir et le toucher. Toujours dans ses rêves, elle s’évadait dans quelques contrées enchantées mais toujours il y avait un réveil ; de même, lorsque son esprit vagabondant suite à un délicieux roman se trouvait malheureusement secoué par Rose annonçant l’heure du thé.

- (...) le pays de l’Imaginaire est toujours plus ou moins une île, avec, ici et là, d’étonnantes taches de couleurs, des récifs de corail et, au large, de fins voiliers corsaires ; et encore des repaires sauvages.

Wendy, une petite-fille, comme Daphné, rencontrait « Peter Pan » dans ses rêves. Madame Darling se rappelait l’avoir croisé, elle aussi, dans son enfance. Il vivait parmi les fées, « disait-on ». À bien y réfléchir et retourner son esprit pourtant très prolifique, Daphné ne trouva trace d’aucun Peter Pan et fut très embêtée. Elle ne devait pas être une enfant normale. Surtout, ne pas montrer son inquiétude à son papa. Il était très sensible à l’imaginaire, surtout pour une petite fille et surtout si elle s’appelait Daphné. Il n’aurait pas supporté que sa petite fille ne puisse pas rêver comme les autres enfants. C’était embêtant pour Daphné dans une soirée aussi belle mais ce n’était pas très grave. Peut-être était-il bon de ne pas être comme les autres enfants. Rose rouspétait sans cesse auprès de sa maman qu’elle n’était jamais disposée à faire ce que faisaient les enfants de son âge et que tant pis pour elle si elle grandissait trop vite. Mais Daphné, elle, n’avait pas envie de grandir, du moins si on lui posait la question. Sinon, elle n’y pensait pas, elle était une enfant avec plaisir sans pour autant se sentir enfant. Elle était elle-même, elle était Daphné.

- Dans son sommeil, Madame Darling eut un rêve. Elle rêva que le pays de l’Imaginaire s’était dangereusement rapproché, et qu’un étrange garçon en était débarqué. (...) Mais, tandis que le rêve se poursuivait, la fenêtre s’ouvrit violemment et un garçon sauta sur le plancher. (...) Elle poussa un cri, vit le garçon et je ne sais comment reconnut aussitôt Peter Pan. (...) C’était un charmant petit gars, vêtu de feuilles et de résines qui suintent des arbres.

Rose aurait dit que ce petit garçon avait été vilain à trop se rouler dans les feuilles qui jonchaient le parc de Kensington, pensa Daphné. Sa maman, elle, l’aurait trouvé bien joli. Elle lui racontait toujours des histoires de petits elfes courant dans la lande à la nuit tombée.

Mais Madame Darling n’était pas rassurée du tout et cria. Le garçon sauta par la fenêtre mais elle ne vit rien au-dehors. Une petite chose pourtant volait dans la chambre de ses enfants endormis. La chienne, Nana, qui était la nounou des enfants, avait attrapé l’ombre du garçon. Daphné aurait bien échangé cette nanny là contre la sienne, la trop rigide Rose, mais elle s’empressa de chasser cette vilaine pensée de son esprit car elle était trop bien élevée. Madame Darling roula l’ombre et la rangea dans un tiroir en attendant de pouvoir en parler à son mari. Lorsque le dénommé Peter Pan revint la chercher, les parents Darling étaient absents et Nana sommeillait.

Daphné était émerveillée de cette ravissante chambre qui était disposée sur scène et qui abritait trois petits lits qu’elle trouvait tout à fait à son goût. Une fenêtre révélait l’immensité d’un ciel étoilé.

- Peter bondit vers les tiroirs, en vida à deux mains le contenu sur le plancher (...) Il retrouva bientôt son ombre. (...) Or, à sa grande frayeur, l’ombre ne voulut pas reprendre sa place. Il essaya de la recoller avec du savon : en vain ! Frissonnant de tout son corps, il s’assit par terre et fondit en larmes.


Et c’est là que Wendy se réveilla et vit Peter Pan pour la toute première fois.

- Petit garçon, (...) pourquoi pleures-tu ? (...)

- Je pleurais à cause de mon ombre qui ne veut pas tenir. Et puis, d’abord, je ne pleurais pas. »

(...)

- Il faut la recoudre.

Daphné était fascinée par cette histoire d’ombre qui avait pris la poudre d’escampette. Elle se rappela alors ses énormes frayeurs dans l’escalier, quand montant se coucher, son ombre la suivait. Elle aurait tout donné pour qu’elle s’écarte d’elle comme elle l’avait fait pour Peter Pan. C’en aurait été fini de ses angoisses nocturnes.

Wendy se demandait quel âge pouvait bien avoir ce drôle de petit garçon. Il ne le savait pas lui-même car il s’était enfui le jour où il était né, disait-il.

- J’ai entendu mes parents parler de ce qui m’attendait quand
je serais un homme (...) Je ne veux jamais devenir un homme, (...) Je veux toujours rester un petit garçon et m’amuser. C’est pour cela que je me suis sauvé au parc de Kensington, et j’y ai vécu longtemps parmi les fées.

Sa maman avait raison, des petits êtres autres qu’eux-mêmes existaient. Daphné fut très intéressée.

- (Peter Pan) Quand le premier de tous les bébés se mit à rire pour la première fois, son rire se brisa en mille morceaux qui sautillèrent de tous côtés et devinrent des fées. (...) Et depuis, (...), chaque petit garçon ou fille devrait avoir sa fée.

Daphné sursauta. Elle n’en avait pas, elle. Elle n’était décidément pas un enfant normal. Elle serra très fort la main de son Papa qui la couva alors du regard.

Comme si elle avait lu dans les pensées de Daphné, Wendy s’inquiéta :

- Devrait ? Ce n’est donc pas toujours ainsi ? »

- (Peter Pan) Non, vois-tu, les enfants sont tellement savants de nos jours qu’ils ne croient plus aux fées. Toutes les fois qu’un enfant déclare : « Je ne crois pas aux fées », alors l’une d’entre elles tombe raide morte.


Daphné venait d’entendre très distinctement cette réplique. Tout allait tellement vite que certains passages lui échappaient à son grand regret. D’autres, au contraire, lui parvenaient parfaitement mais plus encore, droit au cœur.

- Je crois aux fées, je crois aux fées, murmura-t-elle tout bas mais bien lentement pour que son cœur s’en imprègne. Elle était persuadée qu’ainsi elle verrait bientôt une fée, sa fée.

- (Wendy) Mais où vis-tu la plupart du temps ?

- (Peter Pan) Avec les garçons perdus.


- (Wendy) Qui sont-ils ?

- (Peter Pan) Des enfants qui sont tombés de leur landau pendant que leur bonne regardait de l’autre côté. Si on ne vient pas les réclamer dans la semaine, ils sont expédiés très loin, au pays de l’Imaginaire.(...) Je suis leur capitaine.

Daphné se dit qu’il était heureux qu’elle n’ait pas tout fait pour tomber de son landau à sa naissance parce qu’il lui semblait qu’à l’âge de sept ans, elle l’aurait fait sans hésiter - en se basant sur tous les embêtements qu’elle semblait causer à Rose. Mais alors elle ne connaîtrait peut-être jamais le Pays de l’Imaginaire ?

- (...) Peter reconnut qu’il n’était pas venu spécialement pour voir (Wendy) mais pour écouter des histoires.
 Je n’en connais pas (...) aucun des garçons perdus n’en connaît non plus.

- (Wendy) C’est vraiment malheureux,


- (Peter Pan) Sais-tu pourquoi les hirondelles font leurs nids sous les toits ? C’est pour écouter les histoires. L’autre fois, ta maman en racontait une si jolie, Wendy.
(...)

- (Wendy) Oh ! Toutes les histoires que je pourrais raconter aux garçons !

Moi aussi je connais des histoires, s’enhardit Daphné. Si les enfants ne connaissent pas d’histoires au pays de l’Imaginaire, je ne vois pas pourquoi j’aimerais y aller. J’ai bien fait de ne pas tomber de mon landau.

Daphné était rassurée et continuait à écouter attentivement, son cœur battant un peu moins fort.

- (Peter Pan) Wendy, viens avec moi, je t’en prie, tu nous raconteras des histoires.
(...)

- (Wendy) Hélas, je ne peux pas. Pense à maman ! Et puis, je ne sais pas voler.
(...)


- (Peter Pan) Je t’apprendrai à voler sur le dos du vent, et après tu t’envoleras !

Daphné hésitait elle-même entre partir avec Peter Pan ou rester. La maison des Darling ressemblait trait pour trait à la sienne et ne donnait pas envie de s’en éloigner. Cependant, ce petit garçon qui pouvait voler avait bien de la chance. Daphné se dit que plutôt que de choisir, il lui suffirait d’être Peter Pan, d’être un Peter Pan. C’était une très sage décision et elle continua d’écouter attentivement, le cœur battant tout de même un peu plus fort.

John et Michael étaient désormais réveillés et demandaient eux aussi à apprendre à voler.

- (John) Comment fais-tu, à la fin ?

- (Peter Pan) Vous n’avez qu’à penser à des choses merveilleuses (...) elles vous emporteront dans les airs.

Un souffle était passé sur le visage de Daphné, elle-même retenant son souffle sans même s’en rendre compte. Elle avait senti la même force solaire et vivifiante que lorsque la fenêtre du salon de bibliothèque laisse passer le rayon de soleil d’après-midi. Chaque mot de cette réplique s’était comme imprimé en elle, résonnant fortement à son oreille - « Vous n’avez qu’à penser à des choses merveilleuses, elles vous emporteront dans les airs. » - et elle était certaine que le temps venait de s’arrêter. Alors elle se retourna vers son papa et vit qu’il souriait aux anges. Une drôle de sensation s’empara d’elle : c’était chaud dans ses joues et dans son ventre, froid dans ses mains et elle éprouvait une immense joie teintée de pudeur, bien plus grande encore que celle qu’elle avait eue en pénétrant dans ce théâtre. Elle eut l’impression de devoir chérir ces mots comme un trésor et d’y rester fidèle pour toute la vie.

- (Peter Pan) Je dois d’abord vous saupoudrer de poussière des fées. (...) Maintenant, essayez. À partir du lit. Remuez vos épaules comme ça et laissez vous aller.

Daphné fut persuadée qu’elle pourrait s’envoler même sans poussière de fées et seulement avec de merveilleuses pensées. Sa constitution d’un optimisme sans faille et sa propension à voir le beau partout en étaient peut-être la clé. Elle mit ce mot – « merveilleux » - dans son cœur et le chérit dorénavant comme un trésor.

- (Peter Pan) Et maintenant, venez !

S’élevèrent alors dans les airs les quatre compères sous les yeux ébahis des spectateurs londoniens qui n’avaient jamais rien vu de tel. Daphné sentit son cœur s’envoler.

- (Peter Pan) La deuxième à droite, et droit devant jusqu’au matin !

Ça y est, le Pays Imaginaire n’était plus très loin. Daphné n’en avait jamais douté. C’était « pour de vrai ». Sur scène se jouait un ballet qu’aucun adulte ayant été enfant ne pouvait renier. Sur l’Île, des « garçons perdus », dont Peter Pan était le capitaine, portaient des peaux d’ours qu’ils avaient tués de leurs propres mains ; non loin de là, des pirates se faisaient entendre avant de se faire voir, entonnant un terrible refrain :

- Larguez les ris, yo ho hisse ho !

Nous allons piratant !

Et si un coup de feu nous sépare,

Nous sommes sûrs de nous trouver tous réunis en enfer !

Et, dansant autour d’un feu, des Peaux-Rouges invoquaient Manitou, le calumet de la paix étant cassé.
 Lions, tigres, ours tiraient leur langue affamée tandis que le Roi de cette jungle de l’Imaginaire était un crocodile géant dont on reparlera plus avant.

- Qui est leur capitaine ?

On parlait des Pirates.

- (Peter Pan) Crochet.

- James Crochet ?


- Oui !
(...)

- Il est gros, hein ?

- (Peter Pan) Pas aussi gros qu’autrefois.

- Que veux-tu dire ?


- (Peter Pan) J’en ai coupé un morceau.
(...)


- Mais... quel morceau ?


- (Peter Pan) Sa main droite.
(...)

- (Peter Pan) Il a un crochet de fer à la place de la main droite, et il s’en sert pour griffer.

Daphné écoutait toujours, les yeux écarquillés, les histoires d’explorateurs, de mers et de bêtes sauvages que lui racontait son papa. Il y en avait une en particulier qui faisait frémir Daphné de peur et de ravissement à la fois. Celle où, quand la Lune se découvrait dans le ciel noir, le loup-garou hurlait...
 Ce soir, il lui semblait que ses yeux s’ouvraient de plus en plus ainsi que son cœur. Par petits à-coups et battements réguliers, il opérait un mouvement inné de manière à emmagasiner tout ce qui se passait.

Ce soir, il y avait deux ennemis jurés qui intriguaient et déroutaient Daphné. Ce serait peut-être au moins aussi fort que l’histoire du loup-garou.

Wendy, John et Michael avaient atterri, et non sans mal pour Wendy qui avait été la cible de la jalousie de Clochette, la fée de Peter. Mais désormais, le plan de Peter Pan était réalisé et la famille de l’Imaginaire était au complet :

- (Les Garçons perdus) Ô dame Wendy, (...), soyez notre mère à tous !

- (Wendy) Dois-je accepter ? ( ...) C’est affreusement tentant, bien sûr, mais je ne suis qu’une petite fille, voyez-vous, je manque d’expérience.
(...)

- (Wendy) Très bien, (...), je vous promets de m’appliquer. Allons, vilains garçons, entrez tout de suite dans la maison. Je suis sûre que vos pieds sont trempés. Et avant de vous mettre au lit, j’aurai tout juste le temps de vous raconter la fin de Cendrillon.

Le nombre de fois où Daphné avait joué à la poupée... Pourtant, ce qu’elle préférait, c’était s’imaginer ou se construire - dans les jours fastes où sa maman trouvait des tissus - une cabane, une maison, un domaine à elle. Et ce fut plus fantastique encore que tout ce qu’elle avait inventé. Sur la scène de cette immense caisse à jouets apparut « la maison souterraine ». On n’y entrait que si on « casait dans un tronc ».

- Elle se composait d’une seule vaste pièce, comme devraient l’être toutes les maisons. Sur le plancher, qu’on pouvait creuser à volonté si l’on avait envie d’aller à la pêche, poussaient des champignons trapus qui servaient de sièges. Un arbre imaginaire s’efforçait de pousser au milieu, mais chaque matin, on sciait le tronc au ras du sol. (...) Il y avait un énorme foyer qui se trouvait en n’importe quel endroit où il vous plaisait d’allumer le feu.

C’était très joli, très paisible. Daphné aimait cette douceur d’un foyer heureux et sourit à son papa.

La scène avait maintenant pris la forme d’une lagune que Wendy contemplait alors qu’elle se trouvait sur un rocher, « le rocher des Abandonnés ».

- (Wendy) Je voudrais tellement attraper une sirène.


Mais Peter Pan lui conta combien elles étaient dangereuses et qu’elles essaieraient de l’attirer au fond des eaux.
Puis, la mer frissonna tandis que le soleil s’obscurcit. Les Pirates étaient là. Ils venaient abandonner sur le fameux rocher la petite Lis Tigré, une indienne du Pays Imaginaire. Ce fut la toute première grande aventure de Wendy.

- (Peter Pan imitant la voix de Crochet) Relâchez-là ! (...)

- Mais, capitaine....

- Immédiatement, vous m’entendez ! Ou je vous plonge mon crochet dans le corps !

Daphné frappait dans ses petites mains. Elle admirait Peter de faire preuve de tant d’ingéniosité et de générosité.
Mais une voix terrible, caverneuse, retentit alors dans la salle.

- Ohé du bateau !

C’était la voix de Crochet, la vraie. Il ne mit pas longtemps à comprendre la supercherie de Peter Pan et il lança le « jeu des devinettes ».

- (Capitaine Crochet) Crochet, (...) as-tu une autre voix ?

- (Peter Pan) Oui, j’en ai une. (...)

- (Capitaine Crochet) Es-tu (...) un garçon ?

- (Peter Pan) Oui !

- (Capitaine Crochet) Un garçon ordinaire ? Un merveilleux garçon ?

- (Peter Pan) Oui ! (...)

Vous ne devinerez pas ! Vous ne devinerez pas ! (...) Vous donnez votre langue au chat ?
(...)
Je suis Peter Pan !

- (Capitaine Crochet) Nous le tenons ! (...) Prenez-le mort ou vif ! »

La pagaille s’empara du plateau. Les «aïe» et les «youpi» se faisaient entendre entre deux entrechoquements de lames des Garçons perdus et des Pirates. Enfin, Crochet finit dans l’eau et nagea vers son bateau.

Daphné respira un peu mieux maintenant que le dangereux Crochet avait été mis hors du jeu. Mais elle ne pouvait se résoudre à oublier ce terrifiant personnage qui cherchait à tuer des petits enfants. Et pourtant, elle le trouvait plus triste que méchant. Ses longs cheveux bouclés paraissaient être les siens, ses yeux, teintés d’un bleu de myosotis, exprimaient parfois une mélancolie que l’on aurait voulu atténuer et sa tenue le rendait d’une élégance et d’un raffinement suprêmes.
 Seul son air de grand seigneur associé à son horrible crochet de fer le rendait désagréable aux yeux de Daphné. Mais que penser de Peter Pan qui lui avait arraché sa main ?

Claire Bonnot

To be continued…

*J’ai pris la liberté de mêler aux aventures de ma petite héroïne, Daphné, l’œuvre majeure de James Matthew Barrie, Peter Pan, dont de larges extraits sont cités, d’après le roman de 1911 tiré de la pièce jouée en 1904.