Au théâtre de la Michodière, nous voilà conviés en cette nouvelle année à s’immiscer « entre quatre murs » : ceux d’un voisinage forcé. Elle est pianiste, lui est inventeur. Il veut la paix, elle veut répéter. Le mur qui les sépare est non insonorisé. La comédie romantique de la rentrée, tendre, drôle et rock ‘n’roll !
Au tout, tout dernier étage d’un immeuble, une jeune femme déballe ses cartons en hâte dans un deux pièces au papier peint décrépi. Elle vient d’emménager seule pour la première fois de sa vie. Son projet ? Bosser son piano au calme. Un concours important l’attend dans quelques temps. C’était sans compter sur son… voisin et la mauvaise insonorisation du mur mitoyen.
Quand le destin sonne à la porte
Adapté du ravissant premier film de Clovis Cornillac, «Un peu, beaucoup, aveuglément» (2015), co-écrit avec sa femme Lilou Fogli, la pièce «Mur Mure» est un concentré de bonnes ondes. Ou comment la pire situation - imaginez-vous entendre tout, tout, tout ce que fait votre voisin - crée le meilleur dénouement qui soit. Mais ne nous avançons pas trop loin. La première «rencontre» est un enfer. Trois notes de piano et voilà le tableau du salon bouger au son d’une voix d’épouvante... La pianiste fuit, prenant ses jambes à son cou ! Le plateau coulisse et nous voilà plongés dans l’appartement mitoyen… Un homme ricane comme un fou devant un micro rattaché à tout un tas de fils. La pièce ressemble à s’y méprendre à l’atelier d’un savant fou. Cheveux hirsutes, barbe chiffonnée, ce voisin ne dit rien qui vaille. Son petit numéro a encore marché, l’appartement d’à-côté ne sera plus habité, il va pouvoir travailler en paix. Mais c’était sans compter sur… la ténacité de sa voisine. Et le petit manège reprend : trois notes, des bruits d’épouvante. Jusqu’à ce que la voisine découvre le pot aux roses. Coincé, l’inventeur ! Elle le fera souffrir à coups de métronome égrenant son Tic-Tac implacable jour et nuit… La trêve est alors décrétée : elle répétera à telle heure, il travaillera à telle heure. S’installe alors une cohabitation forcée et… une écoute attentionnée. Par la force des choses. Ils parlent désormais à un mur. Le misanthrope reclus dans sa tanière, volontiers maniaque, et l’artiste coincée, volontiers bordélique, ont peut-être trouvé la clé pour sociabiliser : se parler sans se voir. Imaginez-les découvrir les manies de chacun. Incompatibilité assurée… sur le papier. Car, petit à petit, ils décident de «vivre ensemble», séparément. Le plateau enchaîne les surprises avec ce manège coulissant laissant apparaître l’un ou l’autre des appartements pour enfin nous mettre «au pied au mur» : oui, ces deux originaux parviennent à s’aimer sans se voir. Merveilleuse de rebondissements, menée tambour battant, cette pièce sur le voisinage offre mille et unes situations toutes plus comiques et attendrissantes les unes que les autres car les murs ont des oreilles…
Des partitions sans fausses notes
L’idée initiale du film fonctionne à merveille sur les planches, lorgnant du côté des vaudevilles. Placer deux êtres qui ne cherche qu’à se murer dans le silence (ou dans leurs partitions) sur le même palier, c’était bien trouvé ! Laurence Arné, en voisine « machine», est absolument parfaite. Un peu grande gigue aux vêtements de petite-fille, lunettes d’intello et cheveux bien tirés, elle joue à merveille la jeune femme inadaptée aux choses de la vie qui va se créer sa propre mélodie. Le duo installé avec sa sœur, incarnée par l’ultra-pétillante Lilou Fogli, est absolument délicieux. Quand l’une est un brin coincée, l’autre est totalement décomplexée. Sa séance de yoga aux râles libérateurs plongera d’ailleurs le joli «couple» de voisins dans la tourmente… Clovis Cornillac, en voisin «machin», prend un plaisir gourmand à jouer cet homme profondément attendrissant. Avec sa gouaille légendaire, il passe aisément de l’ours mal léché au gentleman vulnérable et chevaleresque. Interprétant toutes les émotions de la découverte amoureuse et plus si affinités (confère un morceau de Chopin interprété à son acmé…), les deux acteurs se régalent. Les rires fusent d’ailleurs. La suite du casting n’est pas en reste. Arnaud Maillard, en pote bonne poire, est absolument adorable. Son personnage ne se prend pas que des murs, vous verrez ! Enfin, Boris Terral, s’éclate à jouer le prof de piano-amant tortionnaire autant que l’invité italien dégoulinant de sensualité. On avait beaucoup aimé le film, on re-signe pour la version théâtrale. Mise en scène survitaminée, texte enlevé, jeu très joyeux, «Mur Mure» est un pur bonheur !
Claire Bonnot
“Mur Mure” de Lilou Fogli mise en scène par Jérémie Lippmann
Durée : 1h45