"Le Jeu de l'Amour et du Hasard" de Marivaux par Salomé Villiers : délices amoureux

À voir : si vous avez le cœur léger

Jusqu'au 30 juillet à 17h45
au Festival OFF d'Avignon
au Théâtre du Roi René

Reprise jusqu'au 6 novembre 2016
au Théâtre du Lucernaire


"Avant notre connaissance, votre dot valait mieux que vous ; à présent vous valez mieux que votre dot."

Le Jeu de l'Amour et du Hasard, Marivaux


Dans une mise en scène pop et modernisée de Salomé Villiers avec la Compagnie La Boîte aux Lettres, le classique "Le Jeu de l'Amour et du Hasard" de Marivaux n'a jamais paru aussi délicieux. On s'amourache très vite de cette jolie troupe décidément vigoureuse.

C'est un peu comme si l'on se régalait d'une bonne glace à la fraise. Ce "Jeu de l'Amour et du Hasard" a tout de la gourmandise théâtrale : divertissant, faisant passer un bon moment, et somme toute, plein d'enseignements. Sur un grand écran, voilà qu'une jeune femme se fait ligoter, masque sur les yeux, en sous-vêtements... Un « Fifty Shades of Grey » théâtral ? Ouf, ce n'était qu'un rêve... brûlant. La jeune femme s'appelle Silvia et l'on apprend très vite que son père veut la marier au fils de son ami, un certain Dorante. « Le mariage aurait donc de grands charmes pour vous ? » lance Silvia, très sceptique, à sa servante, Lisette. Elle demande alors à son père, M. Orgon, la permission de pouvoir se déguiser sous l'apparence de Lisette pour étudier tranquillement le caractère de celui qu'on veut lui imposer pour mari et être sûre et certaine d'être aimée pour ce qu'elle est et non pour ce qu'elle représente. À croire que les deux promis sont déjà bien accordés car l'on apprend que le prénommé Dorante a eu la même idée...

Des acteurs délicieux jouant à fond le jeu

C'est sur l'écran (de toile) que l'on voit arriver le présumé valet, Arlequin : belle mise, yeux d'un bleu envoûtant, petite casquette gavroche vissée sur la tête et des manières de gentleman. François Nambot est parfait dans le rôle du gendre idéal qui ne parvient pas du tout à entrer dans son rôle de valet et qui est très intense dans celui du jeune homme épris. Silvia (la très énergique Salomé Villiers), habillée en Lisette, est tout de suite conquise : « Quel homme, pour un valet ! ». Doronte en Arlequin a les mêmes pensées : « Quelle espèce de suivante es-tu avec ton air de princesse ? ». Et le père et le frère, les gentiment polissons Philippe Perrussel et Bertrand Mounier, de se fendre la poire, en fond de scène, spectateurs avertis de tout ce manège. Car les deux jeunes gens s'apprécient très vite mais ne peuvent se l'avouer car, le narrateur-auteur nous le rappelle, « Tous les deux ont fait serment de n'épouser que des femmes ou hommes de condition. » En parallèle, nos deux valet et suivante qui ont pris chacun le rôle du maître et de la maîtresse, l'exubérante Lisette (rouge à lèvres rouge, maillot de pin-up et petits couinements énamourés, un cocktail parfaitement interprété par la très fraîche Raphaëlle Lemann) et l'exubérant Arlequin (génial Étienne Launay, aux immenses et maigres guiboles habillées d'un slim jaune, surmontées d'une chemise hawaïenne et d'une chaîne du plus mauvais goût façon "kéké" que l'on croise sur les plages, l'été) ont aussi la chance de se plaire.  « Que le sort est bizarre : aucun de ces deux n'est à sa place. », entend-on, et c'est ce que Marivaux veut nous montrer : qu'au petit jeu de l'amour, le hasard ne gagne pas. Les classes sociales se reconnaissent et se marient entre elles. Et pourtant, l'amour semble vaincre au-delà même de la raison puisque le valet, Arlequin, ne s' offusque pas de découvrir qu'il aime en réalité non pas la maîtresse mais la servante - « En changeant de nom, tu n'as pas changé de visage. » et que Doronte est prêt à épouser la servante (qui est en fait Silvia) malgré son père et malgré sa fortune.

dans une mise en scène toute pimpante façon «roman-photos-vidéo» 

Plusieurs fois pendant la pièce, l'écran de toile viendra recréer l'ambiance joyeuse et un poil sentimentale d'un « roman-photos » amoureux en vidéo : une jolie manière d'expliquer l'avancée de l'intrigue amoureuse. Cet esprit kitsch est parfaitement rendu par le décor aux chaises longues et parasols flashy et les costumes allant du pantalon tout jaune du faux-maître au maillot imprimé cerise de la fausse-maîtresse. Mention spéciale pour les pantoufles en poils roses du père de Silvia. Ces interludes très visuels sont installés avec une malice hilarante et une gestuelle d'une préciosité exquise par Bertrand Mounier, le frère dans la pièce. Le subterfuge amoureux est rondement mené et on dévore cette pièce comme du petit lait.

Claire BONNOT

"Le jeu de l'Amour et du Hasard" de Marivaux par Salomé Villiers

Jusqu'au 30 juillet au Festival OFF d'Avignon
au Théâtre du Roi René
Bis, 4, rue Grivolas, 84000 Avignon

Tous les jours à 17h45.

Jusqu'au 6 novembre 2016
au Théâtre du Lucernaire
53, rue Notre-Dame-des-Champs, 75006 Paris

Du mardi au samedi à 20h et le dimanche à 18h.