Ils sont cinq jeunes rêveurs, des artistes passionnés, des étoiles plein les yeux et des projets plein la tête. L’aventure théâtrale des Évadés a débuté avec le plus grand personnage du théâtre français, Cyrano de Bergerac. Apartés les a rencontrés pour évoquer leur grande aventure 2019, celle du Festival d’Avignon.
Ils s’apprêtent à jouer leur Cyrano au son des cigales cet été et ont lancé une collecte pour mener à bien ce projet que soutient Apartés.
Dans une adaptation toute en délicatesse, tendresse et poésie, les jeunes comédiens, sortis du Cours Florent, offrent un conte merveilleux enveloppé de féérie circassienne. Un très joli moment de théâtre, de ceux qui vous emportent loin avec des petits riens (si essentiels!), de ceux qui procurent ces petits flottements de rêverie et d'insouciance.
Entretien.
Pourquoi avez-vous choisi d’adapter la plus grande pièce du théâtre français, Cyrano de Bergerac ?
Sébastien Jégou Briant, metteur en scène de la pièce : J’ai lu Cyrano de Bergerac en première année du cours Florent. C’était imposé. Je dois dire que je n’aimais pas les pièces en alexandrins ni les drames, je suis plutôt comédie en général, Feydeau… Mais, dans le train qui m’amenait de Paris au Sud de la France, je l’ai dévoré, d’un coup. C’est un peu bête mais c’est la seule pièce qui m’a fait pleurer à la fin. À partir de ce moment-là, j’ai été convaincu qu’il fallait que je la monte et j’ai donc - à mon tour ! - imposé à tous mes professeurs que je jouerai à chaque fois une scène de Cyrano. C’est à la fin de notre cursus au Cours Florent que j’en ai fait une pièce d’une heure, et, aujourd’hui, j’ai déjà la version de 2h30 en tête.
Quel a été votre regard sur Cyrano ?
Sébastien : Tout de suite, j’ai eu ce parti pris du clown, qui s’est transformé ensuite en parti pris du cirque. L’idée du clown, c’est l’idée même de Cyrano, l’idée que tout part du nez et donc du masque. Nous avons construit notre propre adaptation en partant de la scène finale, le moment où Roxane enlève enfin - en quelque sorte - le nez de Cyrano.
Sébastien Jégou Briant incarne Cyrano de Bergerac
© Olivia Baumlé
Comment as-tu toi-même ressenti le personnage ?
Sébastien : Pour moi, Cyrano est une déclaration d’amour au théâtre et aux comédiens, tout simplement. C’est le comédien qui va se produire devant un public et qui a un masque. Quand il va l’enlever, essayer d’être pris au sérieux, ça ne va pas marcher parce que, d’une certaine façon, il fait beaucoup rire avec ses grands airs et son gros nez. Il y a une phrase de Francis Huster qui résume bien ça dans le livre qu’il a écrit après avoir joué le rôle (Cyrano : À la recherche du nez perdu, 1997) : « Ce n’est pas Cyrano de Bergerac, c’est Cyrano qui joue Bergerac ». À partir du moment où on comprend ça, on enlève le côté panache, un peu pédant du personnage. Huster explique que l’image que nous avons tous de Cyrano est en fait celle de Coquelin, le premier comédien à l’avoir interprété, c’est-à-dire un mec un peu gros, charismatique, avec une grosse voix et qui joue de l’épée. En fait, pour moi, Cyrano de Bergerac, ce n’est pas ça. Le vrai héros de l’histoire, d’une histoire conventionnelle, c’est Christian, l’homme beau qui va tomber amoureux de la femme belle qui, elle, va tomber amoureuse de lui. Il meurt à la fin, Roxane est triste et l’histoire devrait s’arrêter là… et puis non. Car il y a l’amour des mots, l’amour de la poésie, quelque chose de tellement fort que le « second rôle », le confident, l’ami, prend la place du « héros ».
Tu as été véritablement chaviré par cette pièce de théâtre, comment as-tu transmis cette conviction, cette passion, aux autres membres du spectacle ?
Anaëlle Queuille : On était dans la même promotion du Cours Florent mais pas forcément tous dans la même classe. Je connaissais Ronan et Blandine connaissait Sébastien.
Sébastien : Je suis tombé amoureux en même temps de la comédienne et de la personne…
Anaëlle Queuille joue Roxane © Olivia Baumlé
Anaëlle : (rires et grand sourire) C’est un peu par hasard que ça s’est fait, on ne se connaissait pas… Il est venu à une évaluation et après m’avoir vu jouer, il m’a envoyé le texte. J’ai assez vite dit ok. Sa version de l’histoire m’a tout de suite attirée.
Roxane semble tout droit sortie de ces boîtes à musique où une petite danseuse en tutu tourne sur elle-même…
Sébastien : C’est exactement ça. Au départ, on voulait un univers un peu usé. Comme c’est une pièce qui a été jouée des milliers de fois beaucoup mieux que nous, nous voulions partir du principe que la pièce allait donc être jouée pour la mille et unième fois et que ça donne une porte d’entrée dans notre univers, via les costumes et la mise en scène. Et pour cette danseuse, je trouvais ça marrant que ce soit elle, Roxane, qui remonte Cyrano, plutôt qu’on la remonte elle, comme on doit le faire avec ces boîtes à musique.
Et pour les autres rôles… Es-tu es allé déclarer ta flamme à Christian ?
Sébastien : Pour tout dire, le Christian initial venait de me lâcher et j’ai tout simplement dit à Ronan « Tu veux pas jouer dans un mois » ?
Ronan : Ah non, ce n’était pas du tout une déclaration d’amour mais j’ai vite dit oui. J’étais assez surpris qu’on me propose Christian en fait, c’était la première fois que j’allais jouer un jeune premier donc ça m’a intéressé. Normalement, tout jeune comédien veut jouer Cyrano et pas Christian…
Anaëlle : C’est vrai qu’on a tendance à penser que les scènes ne sont pas pour lui…
Ronan : ou qu’il n’a rien à dire mais la pièce tourne autour de lui en fait, et j’aime bien cette idée du premier rôle.
Ronan Bacikova interprète Christian © Olivia Baumlé
Vous aviez donc l’idée d’en faire le premier rôle dans cette mise en scène ?
Ronan : C’est quelque chose qu’on s’est dit après-coup finalement, à l’époque je ne sais pas comment on y a pensé. On s’est jetés dans les répétitions. Dans la mise en scène de Sébastien, je suis un jeune Monsieur Loyal. C’était un défi excitant d’essayer de chercher la malice dans ce rôle mais aussi le côté très jeune, très poétique et peut-être un peu plus dynamique que le Christian que l’on imagine, ce soldat un peu bête… même si plus personne ne le joue comme ça. Bien sûr qu’il a des moments de niaiserie incroyable, il le dit, il ne sait pas parler, mais il a une pensée ultra-poétique, il a un esprit hyper pur, naïf, enfantin…
Sébastien : Et puis c’est quand même le mec qui va aller jusqu’à se tuer parce qu’il se rend compte qu’il n’a pas sa place dans le couple… Il est prêt à mourir !
Ronan : Si c’était un jeune bourrin, il aurait continué…
Sébastien : … ou il aurait tué Cyrano !
Ronan : Il a un fort esprit romantique et donc il se sacrifie…
Anaëlle : Il comprend que Roxane n’est pas amoureuse de lui mais de Cyrano, c’est le déclencheur…
Ronan : Il a une réaction très noble, il est très blessé et c’est vraiment un sacrifice de se dire « de toute façon, elle ne m’aime pas, je dois laisser une place à Cyrano ». Après, c’est Christian donc il le fait avec une maladresse totale et une sorte d’extrémisme amoureux.
Sébastien : Dans le spectacle, on a rajouté des textes du vrai Cyrano, Hercule Savinien Cyrano de Bergerac. C’est comme un conte au fil des saisons avec ses écrits sur le Printemps, l’Été, l’Automne, l’Hiver et notamment un sur la Tempête pour Christian… un texte magnifique. C’est un peu une insulte qu’il envoie au public en disant « Voyez, vous m’avez pris pour un débile, je ne le suis pas, c’est juste que je ne sais pas parler aux femmes et c’est tout et je vais mourir comme ça ».
Ronan : « Plus on me berce, moins je dors, tout autour de nous les côtes gémissent du choc de la tourmente… »
Dans ce spectacle aux évocations circassiennes, on se croirait plongé dans un doux rêve d’enfance… Aviez-vous aviez envie de ce côté naïf, qui fait affleurer des émotions primitives ?
Blandine Rottier : Oui, le cirque amène ce côté un peu naïf, simple, féérique, fantastique…
Anaëlle : …l’émerveillement devant chaque chose…
Sébastien : C’est vraiment ce qu’on voulait, quelque chose de simple.
Blandine Rottier est Pierrot la lune © Olivia Baumlé
Blandine : Moi, je joue la Lune, Pierrot de la lune. Je représente les émotions de Cyrano, je l’accompagne, je suis comme sa conscience et on communique de temps en temps… Je l’aide un peu, je pleure avec lui….
Sébastien : Je ne sais plus pourquoi mais je voulais quelqu’un qui joue de la trompette et je savais que Blandine en jouait. Comme ça faisait très cirque, on est parti de là pour construire la pièce.
Ce lâcher de lettres tourbillonnantes, ces draps flottants… On pense aux scénographies habitées de James Thierrée. Quelles sont vos inspirations ?
Sébastien : On essaye en effet d’avoir des références aussi fortes que Ariane Mnouchkine, James Thierrée… mais j’ai aussi été pas mal inspiré par la liberté de Alexis Michalik dans Le Porteur d’Histoire. Je trouvais qu’il racontait plein de choses avec rien, c’est assez fou. Il n’a pas eu peur de faire une pièce presque sans décors. Au delà de ça, Cyrano est un projet qui nous a rassemblés…
Cyrano a en quelque sorte engendré votre troupe ?
Blandine : C’est le projet qui nous tient le plus à cœur et qui est le plus abouti dans son univers.
Sébastien : Il y a un vrai terme qui est né ces derniers mois après les longues programmations pendant lesquelles nous avons joué Cyrano de Bergerac et Platonov. On est une famille désormais.
Ronan : On peut dire qu’on était contents de faire face à l’adversité ensemble…
Sébastien : (Rires) Oui, c’était bien au final.
Une compagnie qui s’appelle très joliment “Les Évadés”. Comment vous la définiriez ?
Ronan : Comme une famille théâtrale, c’est-à-dire que collectivement, on essaye de mélanger nos univers, de les faire coexister…
Anaëlle : … que chacun soit intéressé par le fait de créer des choses et que la compagnie soit le moyen de pouvoir les travailler ensemble.
Blandine : On veut être dans la liberté de toujours proposer des choses, il n’y a pas de gêne et on doit pouvoir dire « Je ne suis pas d’accord »…
© Olivia Baumlé
Pourquoi “Les Évadés” ? Ça nous emporte loin, il y a un côté romantique, aventureux, libre…
Ronan : Les Évadés, ça veut vraiment dire l’échappatoire; nous ce qu’on adore, c’est l’ouverture au possible, le théâtre du rêve où le spectateur verra ce qu’il voudra et imaginera ce qu’il imaginera. Dès Cyrano, on s’est dit qu’il fallait surtout que les spectateurs vivent un moment d’échappatoire total, un de ces instants où ils rêvent à des choses complètement hors du réel. On n’a jamais trop voulu représenter le réel, on est dans une ouverture totale à l’imaginaire.
“Les Évadés, c’est le théâtre du rêve où le spectateur verra ce qu’il voudra et imaginera ce qu’il imaginera.”
Sébastien : L’important c’est l’immersion. J’avoue détester les gens qui rentrent dans un théâtre en se disant qu’ils vont être de simples spectateurs. Ça n’a pas de sens. Si tu restes dans un rôle de spectateur, si jamais le spectateur n’est pas avec nous, vraiment avec nous, ça n’a aucun intérêt. Toute cette envie de rêve et de l’ouverture des vannes, ça a entraîné une volonté, chez nous, de faire des pièces où l’on dépasse les cadres; de ne plus parler de notions de publics différents, de théâtre privé, classique ou institutionnel.
Et d’ailleurs dans cette famille, il y a un petit nouveau… Anthony est votre nouvel évadé ?
Anaëlle Queuille et Anthony Ponzio dans “Platonov” © Olivia Baumlé