L’auteur-acteur et chef de troupe de la Compagnie Le K, le trentenaire Simon Falguières, déploie sa fantastique palette de talents et son pays imaginaire foisonnant au travers de deux pièces en forme de contes initiatiques, une adaptation du « Petit Poucet » et une création présentée au Théâtre de La Colline, « les Étoiles ».
Malheureusement privé de représentations suite à la pandémie, Simon Falguières a pu tout de même présenter ses pièces à un groupe restreint de professionnels. Une chance d’avoir pu découvrir l’œuvre de ce prolifique créateur qui nous emporte dans une odyssée épique et poétique de son monde intérieur, un territoire imaginaire d’une richesse infinie et qui offre à la réalité une magie bien précieuse… Celle de grandir en recherchant, toujours, la Beauté.
Le « merveilleux » imprègne tes créations – l’adaptation d’un conte populaire avec « Le Petit Poucet » et une création autour d’une étape de vie initiatique avec « Les Étoiles »… Que représente ce mot pour toi ?
Le conte et la fable sont vraiment au centre dans mon travail avec la compagnie. C’est à dire raconter des histoires, faire un théâtre de textes, et, surtout, un théâtre qui raconte des histoires parce que j’ai l’impression que ça permet de faire, à la fois, un théâtre de création, un théâtre contemporain, et, en même temps, populaire. Parce que les histoires, c’est ce qui nous parle à tous, c’est ce qui nous ramène à l’enfance… Le merveilleux, pour moi, est sûrement dans cet endroit-là, celui qui nous ramène à l’enfance.
Les grands souvenirs de théâtre que j’ai eu jeune proviennent justement d’instants d’émerveillement… et autant par les pièces que par les lieux, le théâtre lui-même. J’ai moi-même grandi dans un petit théâtre à l’italienne à Evreux, en Normandie, puis j’ai été au Théâtre du Soleil pour jouer ma pièce « La Nef des Fous » au Festival Premier Pas en 2011… Dès que je rentrais dans ces salles, c’était déjà merveilleux !
La place du merveilleux me paraît essentielle à l’heure actuelle ainsi que dans la réflexion des lieux théâtraux - comment peut-on créer des lieux de théâtre merveilleux ? – mais aussi autour de l’écriture et de la mise en scène : passer par le merveilleux pour pouvoir raconter des choses. Ce qui offre la possibilité de faire un théâtre très rigoureux mais qui peut parler à un public large.
“Les grands souvenirs de théâtre que j’ai eu jeune proviennent justement d’instants d’émerveillement… et autant par les pièces que par les lieux, le théâtre lui-même.”
On sent, à ton écriture, à tes références, que les histoires ont porté ton enfance. Quels contes ou pièces t’ont façonné ?
Il y en a beaucoup, en effet, qui sont, en lien avec le merveilleux, les contes, les histoires qu’on me lisait sur le bord du lit, enfant. J’ai beaucoup de souvenirs de ma mère qui me racontait des histoires. Elle est vraiment ma nourriture poétique tandis que mon père a été celui qui m’a appris le concret de ce métier. Ma mère est aussi très mystique, la Bible fait donc partie des histoires qui ont marqué mon enfance, et principalement l’Ancien Testament. Quant aux grandes pièces qui ont compté dans mon écriture, il y a tout le travail de Maurice Maeterlinck que j’ai découvert quand j’étais au lycée et qui m’a frappé très fort ! Il y a, enfin, une pièce qui est centrale chez moi et qui est une réécriture de conte, « Peer Gynt » d’Ibsen. Elle est très importante pour moi, je rêverai de la monter un jour.
Autre bagage primordial pour moi dans mon travail, la peinture. Mon père voulait que je sois peintre et m’emmenait voir des expositions. Et ça a été une nourriture très forte. Sans oublier, enfin, le cinéma…
Pourquoi le théâtre t’est apparu comme la forme d’expression la plus fidèle à ton imaginaire ?
Ça s’est fait avec la vie… Quand j’étais jeune, je rêvais d’être cinéaste. J’étais absolument fasciné par Charlie Chaplin ! J’ai donc appris à faire du piano parce que je savais que Chaplin faisait les musiques de ses films. J’avais une petite caméra avec des petites cassettes, à l’époque, et je passais mes journées d’enfant à faire des petits films dans ma chambre. Puis la vie a fait que mon grand frère a décidé de faire du cinéma - son film est projeté à la fin du spectacle « Les Étoiles », ndlr - et je crois que je lui ai peut-être laissé cette place là pour ne pas tomber dans des combats fratricides (rires !). Et, moi, je me suis mis à faire du théâtre. J’ai beaucoup fait, beaucoup créé, jeune, et beaucoup sans argent au départ. Je me suis mis très jeune à écrire et faire des pièces, des pièces, des pièces, et j’ai donc appris mon métier comme ça, au fur et à mesure, en faisant... Je me suis donc plongé entièrement dans ce média du théâtre et, même si je suis très cinéphile, le média du cinéma est maintenant très lointain de moi. Je ne saurais pas quoi faire avec une caméra et quand je tente d’écrire un scénario, je ne suis pas à l’aise… pour l’instant. Alors que le théâtre est toute ma vie et que je le connais bien aussi dans ses endroits techniques.
“Je me considère un peu comme un acteur-poète qui écrit pour d’autres acteurs. “
Le fait de pouvoir passer de l’écriture à la scène, de l’auteur au chef de troupe… C’est ce qui te plaît avec le théâtre ?
Maintenant, de plus en plus, j’écris en amont en pensant à des acteurs mais je n’écris jamais au plateau, je ne fais pas d’improvisations. Je prépare beaucoup mes mises en scène, notamment à partir de dessins et en travaillant avec tous les corps de métiers, la lumière, le son. Avant les répétitions, je leur raconte ce que j’ai envie de faire. Et d’autant plus sur ces deux spectacles que sont « Le Petit Poucet » et « Les Étoiles » où il y a une place très forte des accessoires et des objets.
Après cette étape, la première corde à mon arc, il me semble, c’est d’être moi-même acteur et j’écris donc comme un acteur. Je me considère un peu comme un acteur-poète qui écrit pour d’autres acteurs. Je me sens vraiment à l’endroit du chef de troupe et pas trop du metteur en scène démiurge. Étant moi-même acteur, je vois comment un acteur fonctionne donc j’essaye d’écrire une langue qui peut rentrer dans la bouche d’un acteur. Ça passe par un chant. Et c’est très étonnant parce que par rapport au cheminement de l’écriture jusqu’au plateau, j’ai la sensation qu’il y a comme une triple transcendance : la première est celle de l’écriture parce que même si c’est beaucoup de travail, au bout d’un moment, les histoires et les personnages s’invitent à nous, la deuxième, tout aussi hallucinante, c’est quand j’amène la pièce aux acteurs et qu’on travaille le texte. Celui-ci change en passant par le corps et par les voix des acteurs et des actrices, je le découvre d’une autre façon. C’est donc ici l’acteur qui transcende le texte et je redécouvre une pièce que je ne connaissais pas. La troisième transcendance, c’est la présence du public, que l’on a peu vécue du fait de la pandémie. Parce que lorsque le public arrive, ce qui est très étonnant, c’est que les acteurs et moi-même redécouvrons encore une nouvelle pièce. C’est une sorte de métamorphose au fur et à mesure de la création. Depuis qu’on a joué « Les Étoiles » devant quelques personnes, la pièce m’a paru encore différente. Elle dévoile une autre âme…
Comment convoques-tu le merveilleux quand tu mets en scène ? Je crois que tu parles de « la part du mystère » avec tes comédiens…
La part du mystère c’est quelque chose de très fascinant. C’est comme si je travaillais beaucoup pour faire un cadre, je fais comme des petites constructions, mais dans ces petites constructions, dans ces sortes de labyrinthes, c’est comme si je laissais couler de l’eau, une eau que je ne maîtrise pas, je ne sais pas trop d’où elle vient… Je pense qu’elle provient de tout ce que j’ai lu, de tout ce que j’ai emmagasiné inconsciemment, beaucoup d’histoires intimes aussi. Mais très souvent, j’écris quelque chose en croyant avoir écrit quelque chose et puis je me rends compte ensuite que ma pièce parle… d’autre chose. C’est un endroit intuitif. Quand j’amène la pièce aux acteurs - et ça a été le cas avec « Les Étoiles » - je leur dis « à mon avis, ça parle de ça, ça et ça mais il y a plein de choses que je ne peux pas vous dire et que je ne sais pas ». Et c’est passionnant ! On part alors en expédition avec les acteurs, à un endroit du mystère. Même si j’en suis l’auteur, je pars en voyage avec eux et je comprends les énergies qui en ressortent, j’en discute avec eux. Après on passe à un travail que j’adore, celui du jeu. Et, enfin, il y a un mystère que j’aime énormément aussi et qui fait partie du merveilleux, c’est le rapport à l’objet.
« Le Petit Poucet » © Xavier Tesson
Justement, si on s’intéresse à la forme de ton théâtre, là aussi, le merveilleux est présent, au travers des marionnettes, de la pantomime, des jeux d’ombres, des décors miniatures, tout l’artifice enchanteur qu’offre le théâtre. Comment définirais-tu ton univers théâtral ?
J’ai en fait essayé et exploré plusieurs formes théâtrales depuis mes débuts. J’ai d’abord monté un Shakespeare quand je suis arrivé à Paris puis j’ai créé des pièces dans une forme de poésie plus abstraite, puis, des spectacles sans paroles, des spectacles de pantomime, des spectacles burlesques aussi et, après, je suis revenu à la parole dans quelque chose de beaucoup plus épique avec « Le Nid de Cendres ». C’est presque une sorte de théâtre de plein-air.
Je pense quand même que la forme des « Étoiles » est ce qu’il y a de plus intime et de plus proche de moi. Notamment dans le rapport au merveilleux des objets, les marionnettes, qui sont, je crois, un rapport à l’enfance très fort. Je suis obsédé par l’enfance.
Ton enfance, ton enfant intérieur t’accompagnent-t-ils constamment dans ton œuvre ?
Certainement et je ne sais pas à quel endroit de ma création. J’étais un enfant très mutique, très peureux et, je crois, très mélancolique. Et je pense que j’ai dû vivre plein de choses dans ma petite enfance et dans mon enfance et je ne me souviens pas de tout– c’est là encore la part du mystère. J’ai l’impression que c’est là que tout s’est joué.
Et puis comme j’avais un père qui faisait du théâtre, l’endroit du théâtre qui était celui de mon papa est devenu aussi le mien. Je me souviens quand mon père nous gardait – mes parents ont divorcé quand j’étais tout petit – on était dans le théâtre. Donc j’ai vraiment le souvenir de voir les répétitions, voir les accessoires, sentir l’odeur du théâtre, c’est quelque chose qui m’a marqué. Je suis né dans ce petit monde là, les toiles peintes, les dessous.
Tu es donc un enfant de la balle : le théâtre représentait ton tout, enfant ? Comment as-tu commencé ?
Mon père dirigeait ce théâtre à Evreux et faisait des formes particulières. Il montait toujours des pièces très étranges - il aimait beaucoup Raymond Roussel par exemple - et il adorait notamment monter des pièces avec des enfants mais avec des moyens professionnels. En trois ans, il avait monté « Iphigénie » de Racine avec que des petites filles et j’ai moi-même joué dans un de ses spectacles dont « Prométhée enchaîné » de Eschyle. Il y avait une tonne de sel au sol, c’était plutôt étonnant, et les acteurs étaient des enfants de dix ans. Toute mon enfance, j’ai vu ce père Directeur de théâtre qui faisait exclusivement des pièces dans son théâtre et qui tournait très peu mais je le voyais répéter, jouer… J’ai vraiment grandi avec le théâtre !
À partir de là, mon parcours est un peu particulier. Je suis arrivé à Paris à un moment où je n’allais pas très bien, et j’ai fait le Conservatoire du 18ème arrondissement. J’ai eu ensuite une sorte de phase intérieure où j’étais contre les écoles, je disais qu’il fallait faire le théâtre nous-mêmes… Je suis alors allé dans les squats parisiens. Je montais des pièces sans argent. On faisait tout avec ce qu’on avait : les décors, les lumières, on avait construit une salle de répétition. On vivait un peu comme des ouvriers du théâtre. Je montais beaucoup de pièces, quatre à cinq par an mais sans argent, juste parce que j’avais la chance d’avoir des gens très dévoués qui me suivaient. J’ai l’impression d’avoir fait mes armes dans le théâtre grâce à cette expérience. Surtout qu’on a beaucoup de galères. Et ça, ça fait le cuir ! Du coup, j’ai aussi appris à faire toute l’administration, j’ai aussi travaillé comme régisseur pendant un temps dans des théâtres pour comprendre les différents corps de métiers.
On a ensuite commencé à s’en sortir et à être reconnus pour notre travail d’actions culturelles avec la Compagnie Le K (auparavant, collectif pluridisciplinaire créé en 2011 avec une trentaine d’artistes, désormais installée en Normandie : avec revue littéraire une fois par an, expositions de photos, des vidéastes, des musiciens). La notion de collectif, c’est qu’il n’y a aucune sorte de hiérarchisation. On a réussi à fonctionner ainsi pendant deux ans où tout était décidé au vote. Aujourd’hui, la Compagnie est hiérarchisée. Et je trouve que depuis qu’on est une compagnie et que les choses sont claires, que chacun est à son endroit de travail, les créations sont mêmes plus collectives qu’avant. Chacun sait où il est et je trouve ça plus sain. La hiérarchisation n’empêche pas qu’on se mette autour de la table pour discuter ensemble des salaires autour de chaque création. On garde une sorte d’éthique la plus équitable qui soit.
C’est à cette même période, à l’âge de vingt-cinq ans, alors que je souffrais beaucoup de ne plus travailler comme comédien, que j’ai tenté Le Cours Florent. C’était autour de Noël et ma mère m’a dit, alors qu’on était à table : « Pourquoi tu ne passerais pas une école ? ». À cette période de l’année, il ne restait que la classe libre du Cours Florent. Et c’est elle qui m’y a inscrit. Je l’ai fais en cachette de ma compagnie. J’ai été pris et ça a été une vraie rencontre pour moi ! C’est avec les comédiens de ma promotion que j’ai monté « Le Nid de Cendres ». J’ai, au départ, créé une association avec eux avant de réunir les deux groupes dans ma Compagnie Le K.
L’équipe des « Étoiles » photographiée au Théâtre de la Colline
On ressent l’importance de la famille dans tes pièces et tu évolues avec une troupe depuis le début. Le collectif, c’est ce qui t’inspire absolument, le fait de construire une aventure ensemble ?
Oui, c’est mon rapport au théâtre. Et ça l’a toujours été. Je crois que j’ai besoin de faire un théâtre d’amitié. C’est quelque chose de fondamental pour moi. Nous écrivons donc de longues histoires ensemble et, comme dans toutes les troupes, il y en a qui s’en vont, il y en a qui arrivent. Le créateur de lumière de mes spectacles, Léandre Gans, on a commencé ensemble dans les squats à dix-neuf ans, l’accessoiriste, Alice Delarue, est sa compagne, que l’on a connue dans les squats aussi, le travail sonore, c’est avec Valentin Portron que j’ai connu en arrivant à Paris, Juliette Didtsch qui joue dans « Le Petit Poucet », je la connais depuis le Lycée à Evreux… Ce sont de grandes fidélités de travail. Chez moi, il y a vraiment ce besoin de faire famille, d’être une troupe. C’est pour ça que je me sens plus chef de troupe que metteur en scène.
Pendant longtemps, on m’a fait croire que la création se faisait dans la douleur, dans la dureté et dans les difficultés. Et moi, j’ai envie que mes créations se fassent dans la plus grande joie possible et je pense que notre génération est dans ce mouvement là. Il y a plein de Festivals qui se créent en ce moment et qui sont une sorte de nouvelle décentralisation et qui œuvrent dans les territoires. Par exemple, de notre côté, on réfléchit justement à monter une sorte de base arrière pour la compagnie à la campagne.
Écris-tu des histoires depuis toujours ?
L’écriture est venue un peu tardivement. J’ai écrit ma première pièce lorsque j’étais en troisième. Elle s’appelait « Pluie, Neige, Silence » et je m’inspirais du théâtre absurde. Et mon père me laissait les clés du théâtre le dimanche, j’allais répéter avec les copains le dimanche.
Ta façon de créer, en plus de l’écriture, au travers de dessins des carnets, dévoile un imaginaire foisonnant. As-tu un « pays imaginaire » ?
Oui je pense, et je crois que c’est celui que je dévoile dans « Les Étoiles ». Ce pays là est fait de plein de visages, de plein de mondes, d’un rapport aux animaux avec beaucoup d’oiseaux - qui sont présent dans tous mes dessins - et d’une noirceur aussi, les monstres y sont très présents. J’ai d’ailleurs un rapport à la nuit très complexe. Je ne me souviens d’aucun de mes rêves et je pense que c’est tant mieux mais je fais beaucoup de cauchemars. Je fais vraiment des terreurs nocturnes et depuis tout petit. Il doit y avoir quelque chose là-dedans… Et après, je pense que mon pays imaginaire s’est construit des strates de visionnage de films, de pièces et de peintures comme une sorte de mille-feuille culturel dans lequel je plonge.
Dans cette veine, la pièce « Les Étoiles », peut résonner différemment chez les spectateurs : certains peuvent y trouver des références et, je pense, et j’espère, que ceux qui n’ont pas cette culture là peuvent se faire porter, emporter par l’histoire.
Ezra dans « les Étoiles » joué par Charlie Fabert © Simon Gosselin
“ Il y a forcément un moment où, en tant que créateur, on est un peu seul au monde. Même quand on est chef de troupe. Les gens pourraient se dire qu’on est tout le temps entouré et que tout va bien mais en fait quand tu es à cette place-là, tu es un peu dans une solitude entourée. Ça me questionne énormément ! J’ai peur de passer à côté d’une vie simple et, en même temps, je suis le plus heureux des hommes en faisant ça.”
À l’image de ton poète « qu’un jour a perdu les mots », Ezra, dans ta pièce « Les Étoiles », tu dis t’interroger sur l’échappée poétique quand la vie réelle s’écoule… C’est très beau le parallèle que l’on vit entre le poète Ezra qui s’enferme, en quelque sorte, dans sa création, ne s’incarnant plus dans la vie réelle, et le poète pur, l’enfant, l’idiot du village, l’Oncle Jean, qui parvient, lui, à vivre l’amour… Quel est ton rapport à la réalité et comment tu t’en échappes ?
L’Oncle Jean est le plus poète de tous. C’est peut-être la vie rêvée, la vie de l’Oncle Jean… Ce rapport à la réalité est une question centrale de ma vie. J’ai énormément travaillé pour que ma vie soit pleine, pour essayer de vivre une vie poétique et, en même temps, une vie de travail. Et je l’adore, cette vie là ! Et, en même temps, j’ai - et c’est normal - peur de passer à côté d’une autre vie. En ce moment, la sagesse commence à venir et j’essaye de me dire que, en fait, c’est peut-être possible de vivre les deux vies. En ce sens, mon rapport à l’écriture est un rapport solitaire. J’ai besoin d’être seul dans mon appartement, je ne peux pas écrire s’il y a quelqu’un qui est présent même s’il est dans la chambre d’à-côté. La sensation qui peut être très dure, c’est ce rapport à la solitude qui est comme un passage obligé pour moi dans mon rapport à l’écriture. Il y a forcément un moment où, en tant que créateur, on est un peu seul au monde. Même quand on est chef de troupe. Les gens pourraient se dire qu’on est tout le temps entouré et que tout va bien mais en fait quand tu es à cette place-là, tu es un peu dans une solitude entourée. Ça me questionne énormément ! J’ai peur de passer à côté d’une vie simple et, en même temps, je suis le plus heureux des hommes en faisant ça. Je n’arrive pas à prendre de vacances mais j’aimerais pouvoir poser un tout petit peu la plume.
« Les Étoiles », dis-tu, serait le négatif du « Petit Poucet », dans le sens où le personnage du petit poucet est sauvé par le théâtre tandis que le héros de ta création, Ezra, s’y enferme… Tu semble être un auteur-poète de tes propres questionnements intimes…
Oui, mes pièces, et surtout « Les Étoiles », sont une sorte de mosaïque de moi-même. Quand Wajdi Mouawad, directeur du Théâtre de la Colline, est venu voir « Le Nid de Cendres » et m’a proposé de faire ma prochaine création, c’est allé très très vite. On était en mars 2019 et la création devait se faire pour novembre 2020, je n’avais pas écrit du tout, je l’ai fait l’été 2019. Comme c’était la première visibilité parisienne pour la Compagnie, je me suis dit « Il faut que je revienne à mon endroit le plus intime ». ». Un peu dans ma chambre. Et c’est pour ça que le décor ressemble à une chambre. Je me suis dit « Je vais faire un spectacle dans ma chambre ». Et j’y ai tout mis. Des choses très intimes. Comme ce fameux Oncle Jean. C’est un homme qui a existé dans ma famille mais que je n’ai pas connu car il est mort l’année de ma naissance. Il était une sorte d’idiot dans le très beau sens du terme, il a toujours vécu avec ses parents. Le Pierre dans la pièce, le père, ressemble énormément à mon père… Un jour, mon père était venu voir « Le Nid de Cendres » et il m’avait dit « C’est fou, je te vois et je t’entends dans chaque personnage », alors qu’il y a cinquante personnages… Mes pièces sont comme un miroir brisé de moi-même avec lequel je refais une mosaïque. Et j’ai l’impression que plus on est proche de soi-même et de l’intime, plus on peut passer à un endroit universel. Il y a un côté intemporel dans cette pièce. Elle est hors de l’actualité. Et ça, c’est très important pour moi parce qu’on est submergé par l’actualité, partout, tout le temps, et j’ai justement l’impression qu’il faut la fuir. Et que c’est d’ailleurs la meilleure façon pour parler du monde passé, à venir…
« Les Étoiles » © Simon Gosselin
“Mes pièces sont comme un miroir brisé de moi-même avec lequel je refais une mosaïque. Et j’ai l’impression que plus on est proche de soi-même et de l’intime, plus on peut passer à un endroit universel.”
Qu’est-ce qui te fascine, justement, dans le conte initiatique, forme du « Petit Poucet » et des « Étoiles » ? Dans ce sommeil incroyablement prolongé du personnage d’Ezra, on pense aussi à une sorte de Belle au Bois Dormant au masculin qui ne se réveillerait que lorsque le passage initiatique de l’enfance à l’âge adulte aurait été fait…
Je dirais que ça se fait un peu naturellement mais j’adore ça aussi dans mes lectures. Parce que ce sont des façons de grandir aussi. Et ça nous permet aussi de nous identifier, on peut avancer avec les personnages.
Pour le Petit Poucet, pourquoi ai-je choisi ce conte là ? Je ne sais pas trop. À la base, on m’avait conseillé, alors que je montais « Le Nid de Cendres », de monter un spectacle jeune public d’après ce qu’on avait vu de mes travaux. Au départ, je voulais monter un conte juif et un conte arabe et je n’y arrivais pas. En réfléchissant, « Le Petit Poucet » m’est revenu en tête. Je me souviens très bien lorsque l’on me l’a raconté à l’âge de six ans. Je l’ai relu, j’ai regardé les gravures de Gustave Doré que j’adore pour m’imprégner d’un univers et je me suis lancé là dedans mais sans trop savoir pourquoi. Je réfléchissais aussi à comment parler à des enfants et je trouvais intéressant de pouvoir parler d’un enfant différent. Et j’avais cette idée à la base de me dire « Il va aller dans le monde des ogres, ça va faire un peu peur, et c’est l’ogre qui va représenter l’endroit du merveilleux justement et c’est lui qui le sauve ». Comment ? En lui donnant la parole. Et je pense qu’il y avait là quelque chose en lien avec ma vie : je crois, très sincèrement, que je ne sais pas ce que je serais devenu si je n’avais pas connu le théâtre.
« Le Petit Poucet » © Xavier Tesson
“Pour “Le Petit Poucet”, je me suis dit : « Il va aller dans le monde des ogres, ça va faire un peu peur, et c’est l’ogre qui va représenter l’endroit du merveilleux justement et c’est lui qui le sauve ». Comment ? En lui donnant la parole. Et je pense qu’il y avait là quelque chose en lien avec ma vie : je crois, très sincèrement, que je ne sais pas ce que je serais devenu si je n’avais pas connu le théâtre.”
Tu as quelque peu modifié l’histoire pour donner toute leur place aux mots, à la parole et donc au théâtre. C’est très beau cet hommage. Le théâtre, pour toi, a-t-il été un moyen d’affronter des peurs, de grandir, comme pour le Petit Poucet ?
Je pense, oui. En tout cas, le théâtre me sauve dans ma vie de tous les jours, ça c’est certain. Et ce Petit Poucet marche très bien auprès des enfants. On l’a joué presque quatre-vingt fois, pendant deux ans, et ce qui est incroyable, c’est que lorsqu’on fait des bords plateaux après le spectacle, et que l’on demande aux enfants s’ils ont retenu quels sont les cadeaux que l’ogre fait au Petit Poucet, ils se souviennent de tout. Donc ça démarre très fort ! Et l’idée que l’ogre donne les histoires à Poucet et que celui-ci revienne chez ses parents grandi, ça les touche. Je pense aussi que le théâtre peut faire grandir les enfants, comme ça a été le cas pour moi…
“Je pense vraiment que le théâtre peut sauver plein de gens, que la Beauté peut sauver le monde. J’y crois fermement sinon je ne ferais pas ça.”
Comment convoquer le merveilleux aujourd’hui en pleine (et rude) réalité et spécifiquement pour le monde du théâtre ? Une situation que vous vivez totalement avec la Compagnie puisque vous présentiez vos créations pour la première fois dans un théâtre national, avant d’en être empêchés par la non-ouverture des salles de spectacles le 15 décembre dernier…
Eh bien, il faut absolument convoquer le merveilleux ! Ce qui me bouleverse dans le théâtre et dans cet art, c’est que c’est un endroit où il y a un homme devant d’autres hommes, un humain devant d’autres humains, qui est là et qui raconte une histoire et qui permet à tous les humains qui le regardent de se rappeler à leur humanité. Se dire, voilà, on est des hommes. Et cet endroit de communion, quand il est réussi, pour moi, c’est une énergie sublime. Et pour avoir fait du théâtre à la campagne, dans des lieux en extérieur, et pour avoir vu tout ce que fait notre génération, je pense qu’il faut ramener le merveilleux à l’endroit de l’édifice du théâtre lui-même. Il faut arrêter de faire des théâtres en béton, il faut qu’on réapprenne à accueillir le public dans des endroits de merveilleux ! Le théâtre deviendra alors populaire. Je suis allé au Théâtre du Peuple, l’été dernier, en 2019, qui est la base de la décentralisation et un lieu sublime. C’est un chalet de huit-cent places, à Bussang, dans les Vosges. Les gens de la région y viennent alors qu’ils ne vont pas forcément au théâtre le reste de l’année et ils y vont parce que le lieu est littéralement magique ! Ils n’hésitent pas à venir voir des pièces de trois heures telle « La Vie est un songe » de Calderón qui est quand même très complexe. Ce qui m’a bouleversé c’est de voir que les gens, à l’entracte, ne parlaient pas de la mise en scène, des acteurs ou de la scénographie mais… de l’histoire. Je pense que le rapport à l’histoire est très ancien, il est dans notre cerveau reptilien. Ça a dix mille ans. Ce qui fait que lorsqu’on raconte une histoire à quelqu’un, quelque soit son niveau social ou son histoire de vie, ça résonne à un endroit. Ici, ils s’intéressaient vraiment au poème et ça, c’est sublime. Et je pense que ça, ça peut nous sauver ! Je pense vraiment que le théâtre peut sauver plein de gens, que la Beauté peut sauver le monde. J’y crois fermement sinon je ne ferais pas ça.
Simon Falguières dans « Les Étoiles » © Simon Gosselin
As-tu déjà l’inspiration d’un prochain merveilleux spectacle ?
On va retravailler un peu « Le Nid de Cendres » car avec la tournée au Théâtre de La Tempête, je me suis dit que c’était un peu la dernière pierre à l’édifice de ce projet qui a débuté il y a sept ans. Retourner au Théâtre du Soleil et y terminer cette aventure, c’est un bonheur ! (Cette tétralogie est programmée au Théâtre de la Tempête du 4 au 23 mai 2021, ndlr).
J’ai plusieurs projets sur la table. Je suis en train d’écrire un diptyque pour les jeunes du Conservatoire National qui sont actuellement en deuxième année. Je dois finir la pièce pour mars pour monter une pièce avec eux en novembre, lors de leur troisième année. Ça va être une forme épique avec beaucoup de personnages pour avoir la possibilité de faire un long spectacle de quatre-cinq heures. La pièce commence par une sorte de théâtre de vaudeville avec des dieux de la mythologie et on rentre, ensuite, dans une histoire assez dure et qui se passe sur plusieurs années.
J’ai une moitié de promotion et je les adore ! Ça me permet aussi de réfléchir à une prochaine grande forme que j’aimerais monter, peut-être avec eux et en mélangeant d’autres acteurs. Ça me fait plaisir de travailler avec des acteurs plus jeunes et j’aime aussi travailler avec des acteurs plus âgés. J’ai vraiment envie de faire des spectacles qui mélangent les générations. C’est super important de ne pas se retrouver qu’entre jeunes et, nous, ça nous apprend beaucoup.
J’ai un autre projet d’écriture, que je dois terminer pour septembre pour un Festival en Grèce. Je travaille avec les jeunes du Théâtre National d’Athènes.
Je réfléchis aussi à la prochaine pièce de la Troupe que j’aimerais écrire en 2022. J’ai de quoi faire !
Quand je commence une pièce, pour le travail d’écriture, je marche beaucoup, je réfléchis beaucoup à mes personnages, à comment ça va se construire, je me parle tout seul et je vis aussi, tout simplement… J’ai souvent besoin de temps de lecture, mais de façon un peu intuitive. Par exemple, en ce moment, je ne lis que des romanciers américains et j’essaye de lire des textes de femmes, j’en ai marre de lire des mecs. Je suis actuellement plongé dans Toni Morrison qui me bouleverse !
“J’aimerais faire un théâtre le plus humaniste possible, qui ait encore de l’espoir en l’Homme avec un grand h. J’ai vraiment besoin de ça. Et surtout dans la période actuelle… Dire aux gens : « Vous voyez, l’humain c’est beau ! ».”
Que souhaites-tu transmettre au public au travers de tes créations aux multiples formes et donc aux multiples résonances pour les spectateurs…
J’y repensais hier en finissant « Les Étoiles », je crois qu’une chose est très importante chez moi et que je découvre de plus en plus, c’est que j’ai envie de faire un théâtre de contes, populaire, très rigoureux - ne pas se moquer des gens - mais surtout j’aimerais faire un théâtre le plus humaniste possible, qui ait encore de l’espoir en l’Homme avec un grand h. J’ai vraiment besoin de ça. Et surtout dans la période actuelle… Dire aux gens : « Vous voyez, l’humain c’est beau ! ».
BIO EXPRESS
Simon Falguières découvre le théâtre très jeune à l’École de la Forme de la Scène nationale d’Évreux-Louviers. Il est artiste associé au Théâtre du Nord et au Préau-Centre Dramatique national de vire et Directeur artistique de la Compagnie Le K
Premières écritures de pièces et mises en scène durant ses années lycée en classe théâtre, avec Triptyque autour de Cocteau en 2004, La Marche en 2006 et Lenz en 2007
Arrivée à Paris et entrée au Conservatoire du 18ème arrondissement
Création du Songe d’une nuit d’été de William Shakespeare en 2009
Création de la Compagnie Le K en 2011
Prix d’encouragement de l’aide à la création de textes dramatiques du Centre National du théâtre (CNT) pour sa pièce La Marche des Enfants
Met en scène sa pièce La Nef des Fous lors du Festival Premiers Pas au Théâtre du Soleil
Il intègre la Classe Libre du Cours Florent en 2014 et débute en parallèle la création du Nid de Cendres - épopée théâtrale qui verra le jour au Théâtre du Nord-Centre Dramatique national de Lille/Tourcoing/Hauts-de-France en 2019
Création de plusieurs spectacles burlesques - Bureau, Chez Soi, Rob, Un dîner anglais - avec la compagnie dont il prend la direction artistique en 2017
Il écrit et met en scène son premier spectacle jeune public, Le Petit Poucet, en 2018, présenté à La Colline aux professionnels en décembre 2020
ll écrit sa pièce Les Étoiles en 2019 et la crée au Théâtre National de la Colline en Novembre 2020
Pour embarquer dans l’aventure théâtrale mystique, épique et familiale de Simon Falguières, entrez ici : www.compagnielek.fr
« Les Étoiles » © Simon Gosselin