"Old Times" de Harold Pinter par Benoît Giros : quand le temps s'emballe et se brouille

À voir : si vous avez le cœur bien accroché

Jusqu'au 30 avril 2016
au Théâtre de l'Atelier


"Il y a des choses dont on se souvient qui ne sont jamais arrivées"

Old Times, Harold Pinter


Dans  « Old Times », la dernière pièce du Prix Nobel de littérature britannique, Harold Pinter, un couple reçoit la visite de l'amie de jeunesse de l'épouse et relate des souvenirs aux temporalités bien étranges. Adèle Haenel, Marianne Denicourt et Emmanuel Salinger peinent à soutenir la tension qui habite cette écriture et qui oscille elle-même entre vérité et faux-semblants.

Le décor, visible derrière un grand écran où sont projetées des images d'un film angoissant en noir et blanc, intrigue d'emblée. Comme une toile énigmatique et figée dans le temps d'un Edward Hopper puissamment mélancolique, colorée de gris-violet (le bord de mer vu de la grande fenêtre) et de blanc mat (les meubles du salon presque vide). Rien de chaleureux. Tout de clinique froideur à l'émanation de songe cauchemardesque.

Des acteurs littéralement perdus dans le souvenir...

Une femme (Marianne Denicourt-Kate) et son mari (Emmanuel Salinger-Deeley) conversent dans leur salon. Ils attendent la venue de la meilleure amie de Kate, Anna-Adèle Haenel, qu'elle n'a pas revue depuis vingt ans. Suggérant cette présence étrange - réelle ou spectrale (?), c'est là tout l'écueil - Adèle Haenel arpente le plateau tandis que le mari découvre des inconnues (anecdotes et connaissances) dans la vie de sa femme. Et puis Anna se met à parler. Elle est donc arrivée. La mise en scène est ici un peu brutale, déroutant le public qui ne sait plus à quelle vérité se vouer. Et démarrent d'étranges conversations autour de la rencontre des deux femmes, de leurs souvenirs communs, et de ce fameux bon vieux temps. Anna et Kate sont très proches, elles se caressent le visage, se font des sourires en coin, se câlinent. Le mari se sent étranger et semble paniquer à l'idée de découvrir un autre visage chez sa femme. Mais soudain, Kate se fait mutique, ne sait pas si elle se souvient, semble avoir oublié et c'est le mari, Deeley, qui dit se rappeler de souvenirs communs avec Anna. Les « savoureux », « voluptueux » et « alléchante » viennent fleurir son vocabulaire et troublent le spectateur imaginant alors une liaison ancienne entre les deux. 

... dans une mise en scène fantomatique

Qui croire ? Que comprendre ? C'est bien le but recherché du théâtre de Pinter, celui de décrire l'impossibilité à découvrir LA vérité mais dans cette mise en scène, l'imbroglio est total. Le texte, déjà difficile à suivre, résonne très difficilement dans cette mise en scène statique où les acteurs ne savent pas dans quel registre placer leurs intrigantes répliques : Emmanuel Salinger ajoute bien un peu de piment en décrivant sa rencontre - très visuelle - avec Anna. Il ne pouvait apparemment pas détourner son regard des dessous de la jeune fille, d'ailleurs empruntés à sa (future) femme, Kate. Adèle Haenel, bien trop jeune pour le rôle - son personnage est quarantenaire - ne parvient pas à trouver son ton, son histoire, sa posture. Elle paraît raidie dans cette robette ceinturée à la taille. Seul le final avec Marianne Denicourt apporte un baume au cœur chez le spectateur car une fureur éclate - enfin - dévoilant toute l'inconséquence et la déviance des souvenirs. Le passage du quasi-mutisme au déballage cruel est effrayant. Et le public de toucher du doigt, quelques minutes avant la fin, toute la puissance du drame Pinterien.

Claire BONNOT

"Old Times" de Harold Pinter mise en scène par Benoît Giros

Jusqu'au 30 avril 2016
au Théâtre de l'Atelier
1, Place Charles Dullin, 75008 Paris

Du mardi au samedi à 21h. Matinée le dimanche à 15h. Dernières représentations.
Durée : 1h20.