"La Vie bien qu'elle soit courte" de Stanislav Stratiev au Lucernaire : un bouton qui saute et là, c'est le drame

À voir : si vous avez le cœur léger

Jusqu'au 7 mai
au Théâtre du Lucernaire
et
du 7 au 31 juillet à 14h55
au Festival OFF
d'Avignon au Théâtre Buffon


"Il n'y a pas d'architecte qui tienne mais un bouton qui ne tient pas"

La Vie bien qu'elle soit courte, Stanislas Stratiev


La joyeuse compagnie C'est-pas-du-jeu joue au Lucernaire « La Vie bien qu'elle soit courte », une pièce du dramaturge bulgare adepte de l'absurde, Stanislas Stratiev. La justesse du jeu, l'interaction avec le public et les situations cocasses voire insupportables questionnent à merveille la vacuité de l'existence humaine.

Déjà, on monte au « Paradis ». Celui du Lucernaire. Cette petite salle nichée tout en haut du théâtre, juste après un escalier en colimaçon. Et puis on s'installe, face à face avec la scène, le décor façon barres de fer et grillages, le tout, dans le noir. Et parlent alors un homme et une femme. Il parle de lui : l'architecte. Illustre. Qui a décidé de changer de vie. Et de faire le bien : celui de s'opposer à la construction d'immeubles lamentables pour la population. Grandeur et...patatras. Il perd son pantalon. Et c'est à cause d'un bouton.

Un texte formidable d'une ridicule profondeur

La pièce de Stanislav Stratiev, écrite en 1986, en plein Bulgarie socialiste, est un petit bijou du théâtre de l'absurde. À cause d'un bouton de pantalon qui s'est fait la malle, toute l'existence d'un architecte de haute volée est soudain remise en cause. Comment se faire entendre en réunion sans pantalon ? Comment garder son image de sérieux ? Comment ne pas être ridiculisé ? Tout d'un coup, le quotidien trivial vient frapper à la porte d'un être humain en quête incessante d'absolu et qui aurait oublié qu'il est fait de chair et de sang. Et qui va s'en prendre plein les dents. Voulant faire le « bien », il refuse d'être égoïste et d'annuler sa réunion pour un simple bouton de pantalon. Et va sonner aux portes des habitants alentours, ceux-là même qui sont menacés par ce projet immobilier. Plein de bonne volonté, il se verra rabroué pour une simple épingle à nourrice et doutera fortement de l'être humain. Toute la misérable humanité est ici représentée - non sans humour, les scènes sont hilarantes - face aux grands idéaux de l'architecte qui se sent investi d'une mission. De renoncements en renoncements, le voilà alors se pliant aux demandes farfelues - et infernales - d'un employé d'une boutique de réparation. Et il finira par donner son pantalon. Pour repartir, le cœur léger mais comme lobotomisé, à pieds et jambes...nues. 

Trois acteurs exaltants qui croquent l'absurde à pleines dents

Et ce texte s'entend bien grâce à la sacrée présence des trois jeunes comédiens. L'architecte est parfait : le très à propos Léonard Prain, très grand, tout maigre, petite moustache fine et yeux d'un bleu innocent, a tout de l'intello qui veut (vraiment) faire le bien - peut-être un peu aussi pour avoir bonne conscience - et qui plie peu à peu sous l'absurdité des situations abracadabrantesques qu'il rencontre. Il passe par tous les états possibles et imaginables sans parvenir à faire sourciller d'un poil ses interlocuteurs braqués sur leur petits problèmes personnels ou prêts à obéir aux ordres les plus idiots de la hiérarchie et des lois. Justement, cet homme qui tient la boutique de réparation, est irritant de bêtise et de bon sens à la fois. Tchavdar Pentchev joue à merveille cet employé imperturbable qui ne peut pas recoudre le bouton sans fil ni ciseaux qu'il n'a étrangement pas à disposition dans sa boutique mais qui appelle son supérieur - lui - pour tenter de faire une exception et redemande au pauvre architecte (en craquage total) de quoi il s'agit. Et le comique de répétition, les mimiques de parfait débile, le texte récité comme une machine marchent parfaitement sur le public qui rient pendant un bon moment. Enfin, l'actrice et metteure en scène Sophie Accard est excellente dans ses différents rôles de mégère ou d'employée pratiquant son quart d'heure de gymnastique quotidien façon oppression soviétique. En bref, c'est une belle pantalonnade oscillant formidablement entre l'humour grinçant et les questionnements désespérants.

Claire BONNOT

"La Vie bien qu'elle soit courte" de Stanislas Stratiev par Sophie Accard

Jusqu'au 7 mai
au Théâtre Le Lucernaire
55, rue Notre-Dame-des-Champs, 75006 Paris

Du mardi au samedi à 19h.
Durée : 1h15.