"Bluebird" de Simon Stephens par Claire Devers : sur la route de la rédemption

À voir si : vous avez le cœur bien accroché

Du 7 février au 4 mars 2018
au Théâtre du Rond-Point

apartes-bluebird

"Tu crois en la communicabilité des êtres et à la permanence de l'amour ?"

Bluebird, Simon Stephens


Dans une mise en scène remarquablement cinématographique, la cinéaste Claire Devers s'attaque pour la première fois à la scène avec « Bluebird », une pièce tragique du dramaturge britannique Simon Stephens. Malgré la beauté qui se dégage de cet ensemble et la justesse bouleversante de Philippe Torreton, l'histoire piétine et peine à émouvoir, probablement trop engoncée dans une mise en scène millimétrée.

Une ville, de nuit. Un regard vif derrière un rétroviseur. Un jeune qui vient se placer au-devant de la scène et parler, parler, sans s'arrêter, sans être jamais stoppé. Soudain, on comprend. Nous sommes transportés dans un taxi, londonien, qui défie les lumières de la ville, défilant, comme abrutissantes et sublimes à la fois, de tous les côtés de la scène.

Une mise en scène d'une esthétique incroyable figeant pourtant l'émotion théâtrale

La scène est digne d'un tableau contemporain. Superbe. Accompagnant le mouvement du taxi, les trottoirs, les bus, les cab, les passants filent à toute allure via les images projetées sur le plateau. Au centre, en gros plan, un regard : celui de Jimmy (magistral Philippe Torreton), le taxi, taiseux et à l'écoute bien planqué derrière son rétroviseur. Et se succèdent ses clients, tous plus « broken » les uns que les autres. Chacun, à sa façon, parviendra à faire sortir de sa torpeur (ou de son refuge) le conducteur infatigable du taxi bleu. Ici un père détruit revenant sur les lieux du meurtre de sa fille, là un videur de boîte de nuit répugné par l'humanité corrompue ou encore une jeune professeur seule à en pleurer quémandant un peu d'amour à qui voudra bien lui en donner. Et toujours un Jimmy, taxi, aux réponses laconiques mais finalement éclairantes pour chacune de ses « charges » comme il aime à surnommer ses clients. Petit à petit, au fur et à mesure que ce « road-trip » de nuit se poursuit, le drame de Jimmy se profile. Sa fille est morte, dans un accident de voiture, à l'âge de sept ans. Son couple n'est plus. Toute sa vie se loge dans cette voiture, à sillonner la ville, la nuit. C'est lorsqu'il parvient à convaincre son ex-femme Clare de le retrouver (belle et vraie présence de Julie-Anne Roth), qu'il se dévoile, à cœur ouvert. Si le tragique est au rendez-vous, la force de cette scène d'expiation puis de rédemption est trop millimétrée, trop froide, ne laissant pas venir l'émotion de l'instant, celle du théâtre peut-être. Le texte est beau mais aurait même gagné à être directement en anglais pour coller à cette atmosphère de la nuit britannique. Les mots et la mise en scène semblent configurer des êtres-symboles d'une destinée plus que des êtres humains vibrants et vivant leur route tracée ou à (re)tracer. Cette phrase très belle qui revient dans les interrogations de Jimmy - « La communicabilité des êtres et la permanence de l'amour » - reste une phrase et le geste final de Jimmy, déchirant sur le papier, n'émeut pas vraiment sur scène. Et pourtant l'image suivante est splendide : le jour se lève sur Londres et sur Jimmy et sa nouvelle vie, au volant de son taxi, sa fameuse Nissan Bluebird. Malgré les très belles images de cette mise en scène à l'esthétique parfaite, le sens du texte n'atteint pas sur scène la puissance qu'il porte en lui.

magnifiée par un acteur à la pudeur déchirante, Philippe Torreton

Si la charge émotionnelle est plutôt très lourde dans ce spectacle - Jimmy a commis une faute irréparable, Philippe Torreton la porte avec une légèreté, sans pathos misérabiliste, qui force l'admiration. Sa présence sur scène est à elle-seule charismatique mais pas de ce charisme qui étouffe les autres ou éblouit. Il est celui d'un acteur à la pudeur extrême. Endossant avec - on le sent - toute son âme ce rôle d'un être errant dans la ville et dans la vie, Philippe Torreton émeut avec justesse dans une pièce pourtant glaciale. Si la « communicabilité des êtres » n'est pas passée entre les personnages de Bluebird, elle est sans nul doute passée entre Philippe Torreton et son public. Une magnifique prestation théâtrale.

Claire Bonnot.

"Bluebird" de Simon Stephens, mise en scène par Claire Devers

au Théâtre du Rond-Point
2 bis, avenue Franklin D. Roosevelt 75008 Paris

Du mardi au samedi à 20h30
Durée : 2h.