Du 9 au 15 décembre 2022 Au Théâtre du Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique
“À personne il n’est donné d’accéder aux souterrains mystères avant qu’il n’ait de l’arbre détaché le rameau d’or.”Virgile : L’Enéide – Chant VI
Dans une fable épique s’emparant du mythe du voyage du héros de l’Énéide, le fabuleux conteur et chef de troupe qu’est Simon Falguières orchestre merveilleusement toutes les ficelles de ses comédiens - un groupe d’élèves de 3ème année du Conservatoire National, pour une traversée théâtrale habitée, aux élans de romans d’aventure et profondément initiatique.
Le banquet des Dieux a sonné. Le ton est donné par un annonciateur-conteur haranguant « la foule » qui s’est nichée à tous les étages du beau théâtre à l’italienne du Conservatoire National. Le conte déroule ses chapitres…
Une odyssée des origines
Dionysos, la tête couronnée de vignes, sautille sur le banquet des Dieux. Il attend ses pairs, goguenard. Déméter, Zeus, Aphrodite, Héra, Apollon, Arès, Orphée et Athéna font alors leur entrée. La « cène » peur commencer. Les Dieux s’en donnent à coeur joie - et nous, public, avec - jusqu’à ce qu’une ombre éclaire le plateau. La belle Perséphone (fille de Déméter) revient, comme tous les ans, du monde des morts. Celui de son époux, Hadès. Elle raconte que dans les ténèbres, les êtres humains arrivent, par milliers, leur tête sous le bras, la parole impossible, un seul geste tracé dans le sable pour langage : le nom de Minaï. L’immaculé Orphée, poète de ces cieux, dévoile alors tout le drame. « Et le poème se fait théâtre », écrit Simon Falguières, en Orphée moderne. Il était une fois une famille des temps humains soumise au joug terrible de la guerre. Ses deux enfants, Elio et Minaï sont condamnés à aller se battre. L’aîné, Minaï, devra protéger son jeune frère, supplie sa mère. Il part alors, vaillant, après une première et dernière nuit d’amour avec son aimée, la belle Maya. L’amour a fait son nid. Mais la guerre terrassera la vie. Sans doute brisé par la mort de son petit frère Elio, Minaï devient le seigneur de la guerre, monstre persécuteur abreuvé par la mort incessante - et entraîné dans sa course meurtrière par trois terrifiants bouffons du roi façon Cerbère à trois têtes. Maya, elle, devient mère, vite enterrée après avoir donné la vie. C’est ici qu’entre en scène l’Énée de cette histoire, des années plus tard : le héros est ici une héroïne. Maya, la fille, l’enfant, l’espoir. Elle ira au devant de son destin : celui de retrouver son père pour refermer cette histoire et arrêter le massacre. Elle est bien l’élue : le rameau d’Or lui est destiné. C’est alors le début d’une descente aux enfers via le passage d’un fleuve semblable au Styx de la mythologie où errent les âmes en peine, celles qui n’ont pas connu l’amour. De l’autre coté de la rive, elle rencontrera son destin en la personne de son père, Minaï. Tuant le père, ravivant le monde, Maya accomplit son passage initiatique et son entrée dans la vie. C’est au gré de successions de tableaux scéniques aux lumières puissamment évocatrices (Léandre Gans) que Simon Falguières emporte son spectateur dans une incroyable épopée aux multiples registres émotionnels - le vaudeville (les moments de rire et d’absurde sont nombreux) côtoyant le tragique - et aux cinquante personnages hauts en couleur. Tel Zeus orchestrant les destins des dieux et des humains, l’auteur-metteur en scène prolifique et père d’une tétralogie reconnue à l’aura intemporelle - Le Nid de Cendres, manie avec le talent des grands poètes les diverses trajectoires symboliques de ses protagonistes. Le terreau idéal pour faire éclore des talents.
Un monde à part entière
Conteur né, le trentenaire Simon Falguières aime à se faire appeler « Chef de Troupe » et non « metteur en scène ». Il est un créateur inné d’univers, mondes, familles, qu’ils soient divins, humains, mythologiques ou contemporains et nous embarque aisément - quatre heures durant - dans cette épopée tour à tour haletante, intense, hilarante. Qu’il est beau de voir ces jeunes comédiens traversés par ce souffle et cette fièvre d’un auteur prêt à s’émerveiller, chantre d’un théâtre des origines, épique, sans grands besoins de travestissements et décors et laissant toute la scène à l’interprétation. Myriam Fichter en Amée, mère de Maya, dégage un charisme fou, Théo Delezenne en Dionysos semble être comme un poisson dans l’eau, Olenka Ilunga est une Lamia, mère de Minaï et Elio, bouleversante, Yasmine Hadj Ali, alias Perséphone et Maya la fille, a une présence folle et Zoë Van Herck compose une reine hystérique envoûtante. Une traversée théâtrale enchanteresse.
Claire Bonnot
« Le Rameau d’Or », atelier de 3e année, écrit et dirigé par Simon Falguières, collaboration artistique Lolita de Villers