Dans une pièce vibrante, Chaplin, le charlot le plus célèbre du monde retire son masque et sa moustache dans un face-à-face historique (et filmique) avec Hitler, l’autre personnage à la moustache le plus (terriblement) célèbre de l’Histoire. Ou l’artiste face à lui-même. Superbe !
Un Charlie Chaplin intense et exigeant s’active sur sa machine à écrire, ses boucles sautillant au gré des mots tapés avec vigueur. L’artiste s’échine à trouver le bon mot, il sent qu’il a trouvé le bon sujet quand Sydney, son frère, entre en scène. Le décalage entre les deux est criant : l’un veut créer, provoquer, réveiller quand l’autre veut surtout le protéger. Chaplin veut désormais s’attaquer à Hitler, cette espèce de dangereux pantin qui lui a volé sa moustache et s’apprête à soumettre le peuple à une dictature, il le pressent…
Un artiste face à la Grande et à sa propre histoire
Le petit homme à la moustache est adulé dans le monde entier pour avoir fait rire mais fait réfléchir - « Mon public rit du pire », dira-t-il à son frère qui lui demande d’écrire une comédie après le succès des Lumières de la ville et des Temps Modernes. L’homme est surveillé pour son irrévérence sous couvert d’innocence. Et Sydney s’en inquiète. Mais Charlie écrit avec le cœur et la fureur. Ce soi-disant « führer » doit être dénoncé et ridiculisé. Ce sera, sur grand écran, Le Dictateur. Inspirée de faits réels, la pièce illustre un tournant décisif dans la vie de l’homme et de l’artiste qu’est Charlie Chaplin. Face à l’avènement du parlant au cinéma, Charlot, le roi du muet, doit, semble-t-il, enfin se dévoiler. Face à cet autre personnage à la moustache qui menace ses valeurs humanistes, Chaplin doit se positionner. Et c’est dans cette période de création bouillonnante que l’homme fera face à ses vrais démons : n’est-il pas, lui aussi, une sorte de dictateur sur les plateaux de tournage, comme le lui rappelle Paulette Goddard ? Son origine modeste - tout comme Hitler - ne le pousse-t-il pas, lui aussi, à vouloir impacter le monde qui l’entoure ? Son incapacité à aimer ne vient-elle pas de l’abandon d’un père, tout comme Hitler ? Dans ce miroir et cette mission que le destin lui tend, l’homme Chaplin fera grandir le clown Charlot. Il lui ôtera sa moustache, il lui offrira la parole. Le personnage le protégeait de ses blessures les plus profondes. Il est temps maintenant de devenir Charlie Chaplin. Il ne s’éloignera plus à la fin, sa petite canne à la main. Il fera face et dira sa vérité à la face du monde. « Chaplin 1939 » offre un fascinant voyage dans la vie intime de Charlie Chaplin.
Une incarnation puissante
Cette pièce fascinante qui vient sonder l’homme derrière le mythe (passionnant texte de Cliff Paillé) est puissamment interprétée par un jeune comédien totalement habité par le rôle, Romain Arnaud-Kneisky. Troublant, oscillant aisément entre toutes les émotions, il offre au grand clown un visage plus grimaçant que le mythe n’en a l’air. L’incarnation est aussi vraie que nature, le comédien exprimant avec un total dévouement à son art le génie torturé des grands. Un jeune comédien à suivre ! Ses partenaires des planches, Alexandre Cattez en Sydney et Swan Starosta en Paulette Goddard, ajoutent encore à l’élégance et à la justesse de ce très prenant spectacle. Un très beau moment de théâtre !
Claire Bonnot
"Charlie 1939" de Cliff Paillé par la Compagnie Hé Psst! et mise en scène par Cliff Paillé et Sophie Poulain
Durée : 1h15