"After the End" de Dennis Kelly par Antonin Chalon : gare aux instincts primaires !

À voir si : vous avez le cœur bien accroché

Du 5 au 25 juillet 2019 à 13h40
à La Manufacture
au Festival OFF d’Avignon

© Christophe Raynaud De Lage

© Christophe Raynaud De Lage


“Est-ce que c’est la fin de tout ?”

After The End, Dennis Kelly


Dans un huis clos psychologique glaçant, adapté de la pièce britannique “After The End”, le jeune metteur en scène Antonin Chalon orchestre, avec une précision implacable, un pas de deux d’une acuité terrible entre l’homme et la femme. Magistral !

Dans la petite salle de La Manufacture, nous sommes plongés dans le noir et une voix, étonnamment douce, émerge. Elle parle d’un « corps carbonisé » et puis, soudain, la lumière se fait, brute. Un garçon et une fille se font face dans une espèce de pièce-bunker où un lit superposé en ferraille côtoie une mini kitchenette et une tablette. Une étrange atmosphère flotte dans l’air…

After The End est de ces pièces qui ne perdent jamais l’attention du spectateur et qui cheminent ensuite longtemps dans l’esprit. Comme un avertissement ou une vigilance à poser face à nos instincts primaires en cas de scénario de fin du monde…
— Apartés

Si la fin du monde était proche, quels seraient les rapports humains ?

Louise n’a pas l’air très heureuse d’avoir atterri dans cet abri souterrain et ne se rappelle bizarrement de rien. Mark explique l’avoir sauvée suite à une explosion nucléaire qui a tué son frère à elle et, peut-être, tous ses amis. Serait-il une sorte de héros ? Le doute s’installe bien vite lorsqu’on soupçonne chez lui une attirance quasi-perverse pour la jeune fille et une frustration énorme par rapport au groupe de copains. Petit à petit, ces deux êtres que tout oppose apprennent à se connaître par la force des choses et ce n’est pas un happy end. Louise se demande de plus en plus s’il ne lui a pas menti, Mark l’oblige à participer à un « jeu de rôles » en menaçant de l’affamer, Louise tente de l’amadouer, Mark ne s’en laisse pas compter jusqu’à commettre l’irréparable. Dans cet espace hors du temps se joue alors un rapport de force terrifiant où le monstre identifié finit par déteindre sur la victime. Elle tentera de reprendre le pouvoir pour survivre, quitte à enfreindre les plus grandes lois de l’humanité. Ou comment un attentat - base d’écriture pour la pièce de Dennis Kelly, créée après les attentats de Londres du 7 juillet 2005 - instaurant un scénario de chaos peut réveiller la violence la plus primale, détruisant tout sur son passage. Le metteur en scène Antonin Chalon, fils de Zabou Breitman, a lui-même commencé à travailler sur ce texte après les attentats parisiens de 2015, et c’est une réussite totale.

Une incroyable complicité de jeu des comédiens qui attise encore plus cette lutte infernale

Grâce à ce texte déroutant, manipulant le spectateur comme pour mieux le faire entrer dans l’esprit dérangé du séquestrateur, la confrontation entre les deux comédiens atteint une intensité effroyable. Xavier Guelfi interprète avec un naturel désarmant ce jeune homme en apparence affable, armé d’une voix doucereuse et d’un physique sympathique. Il attendrit lorsqu’il tente d’exprimer sa tristesse face à l’indifférence des autres puis il étonne voire inquiète lorsqu’il s’emporte et il épouvante totalement lorsqu’il va jusqu’à affamer et attacher Louise parce que, dit-il, « Voilà ce que tu me fais faire pour t’aider ! ». Face à lui, Marie Petiot en jeune femme protégée malgré elle et, en réalité, séquestrée, est fabuleuse : presque chétive mais d’une force instinctive, l’actrice amène beaucoup de nuances dans son jeu, emportant le spectateur dans ses propres errements. Louise est une combattante, elle ne lâchera pas, on le sent, mais en attendant, elle compose, bien obligée, pour pouvoir s’en sortir. La complicité entre les deux comédiens est totale ajoutant au trouble inquiétant porté par cette histoire dérangeante. After The End est de ces pièces qui ne perdent jamais l’attention du spectateur et qui cheminent ensuite longtemps dans l’esprit. Comme un avertissement ou une vigilance à poser face à nos instincts primaires en cas de scénario de fin du monde…

Claire Bonnot

"After the End" de Dennis Kelly par Antonin Chalon de Cabotine-Compagnie Zabou Breitman

Durée : 1h15