Pour son premier seul-en-scène, William Mesguich est un Gustave Flaubert torturé qui, dans ses jeunes années, fera l'épreuve douloureuse de sa vocation d'écrivain et l'écrira, à 17 ans, dans « Mémoires d'un Fou », en 1838.
Une voix de songe ou de cauchemar retentit dans la salle du théâtre encore baignée de noir. Et puis la lumière se fait. Un être aux cheveux éparpillés se trouve recroquevillé au milieu d'un tas de feuilles entassées, volantes, collées. « À quoi bon écrire ces pages ? » entend-t-on...
Une sensation de pages qui se tournent et d'un livre qui s'écrit sous nos yeux
Dans une sorte de délire effréné, ce jeune homme raconte ses années d'enfance, entre persécutions et exaltations : « Voilà donc comme j'étais : rêveur insouciant vivant aussi sur mes souvenirs, autant qu'à seize ans on peut en avoir. (...) J'allais à l'écart avec un livre de vers, un roman, de la poésie, quelque chose qui fasse tressaillir ce cœur de jeune homme vierge de sensations et si désireux d'en avoir. » mais... « mon indépendance d'esprit m'avait fait estimer le plus dépravé de tous. » et son rire machiavélique de retentir pour singer ses professeurs. Chaque souvenir semble s'entasser, sans jamais établir un fil rouge linéaire, comme un fou qui divaguerait avec fièvre et emportement. Souvent revient le souvenir de Maria, cette passion qu'il eut de loin pour une femme mariée. Cette passion qu'il s'empresse de mettre sur le papier - là où est posé son bureau, sa plume et son encrier - prémisse de son « Éducation Sentimentale » qu'il écrira trente et un ans après ses « Mémoires... ». Au milieu de cette boulimie d'inspiration, beaucoup d'interrogations sur l'acte d'écriture se chevauchent et lui font perdre la tête : « Je voudrais le beau dans l'infini et je n'y trouve que le doute. » ou encore « Écrire, c'est escamoter la vie. » Les jeux de lumière quasi-fantasmagoriques, les projections de son esprit s'entoilant comme une araignée, les voix de ses hallucinations accompagnent subtilement et magnifiquement ce combat de l'esprit et de la raison dans cette jeune âme déjà remplie de transcendance et qui se sent délaissée par ce monde féru de matérialité là où il voit en la poésie et une certaine « folie », la véritable vie.
avec un acteur qui se fait encre et plume de l'auteur
Qui mieux que William Mesguich pouvait transmettre autant de souffrances contenues avec autant de grâce poétique ? Son apparence sépulcrale n'est pourtant pas effrayante, elle est souffrance, recroquevillée de folie ou exaltée de passion. Sa façon de marteler les mots, ceux que l'écrivain ne parvient pas à trouver pour exprimer tous ses précieux ressentis, fait écho à l'inscription de la plume imprimant son encre dans la feuille de papier. Son regard, hagard mais puissant ne nous lâche pas un seul instant et nous questionne personnellement sur notre rapport à l'art, à l'écriture et à ce « prisme à travers lequel (on) voit le monde. » Chez Mesguich tout est folie, tout est exaltation suprême : la souffrance du corps et de l'esprit à l'état pur. Le voyage est enivrant surtout pour tous ceux qui aiment à se laisser prendre à de pareils tourments.
Claire BONNOT
"Mémoires d'un fou" de Gustave Flaubert, mis en scène par Sterenn Guirriec et avec William Mesguich
Jusqu'au 30 juillet au Festival OFF d'Avignon
au Théâtre du Girasole
24 bis Rue Guillaume Puy, 84000 Avignon
Tous les jours à 12h05.
Durée : 1h10.