"Madame Bovary" de Gustave Flaubert par Sandrine Molaro et Gilles-Vincent Kapps : Flaubert, ça dépote !

À voir : si vous avez le cœur passionné

Jusqu'au 30 juillet à 12h05
au Festival OFF d'Avignon
au Théâtre Actuel


"Allons ma femme, nous sommes si heureux, que nous faut-il de plus ?"

Madame Bovary, Gustave Flaubert


Dans une adaptation contemporaine très vigoureuse, la grande amoureuse de Gustave Flaubert préfère la passion à la langueur. La « Madame Bovary » de Sandrine Molaro, nommé aux Molières 2016 pour ce rôle, est poignante.

Un champ de blé visuel, en fond de scène, et quatre chaises rustiques. Se trouvent sur cette scène quatre comédiens, 3 hommes et une femme. Ils se présentent tour-à-tour en musique, avec le violon et l'accordéon. Le rythme est déjà effréné et l'on se sent très vite emporté par la « passion, la félicité, l'ivresse » que Madame Bovary appelle de ses vœux...

Une mise en scène envoûtante qui fait la part belle aux sensations éprouvées grâce au texte

La beauté de cette mise en scène réside dans sa simplicité et sa capacité à faire retentir la prose frémissante, ironique, cruelle et belle de Gustave Flaubert. Pour signifier le couple mal assorti et le mauvais mariage, assis sur leurs chaises, Charles Bovary et Emma Bovary se parlent et se répondent mais ne s'écoutent pas : « Sa conversation était plate comme un trottoir de rue. » se désespère Emma. Pour évoquer la frénésie du bal, une simple musique et les voix-off des acteurs qui s'enchaînent et qui s'enchaînent, regardant au loin, regroupés, cette scène de tant de beautées. Pour illustrer le bon assortiment amoureux, le face-à-face des discussions entre Léon Dupuis et Emma d'un côté - « La contemplation vous élève l'âme. (...) Le soir au coin du feu avec un livre. » - et Charles Bovary et le Pharmacien de l'autre - « Les miasmes. (...) Une maison confortable... » fait mouche. Pour l'aveu impossible, là encore, les chaises, le face-à-face, dire tout haut ce que l'on pense tout bas sans que l'autre puisse entendre puisqu'on ne lui dit pas : « Léon, c'est toi, mon cœur, je me blottis contre toi. » se dit Emma et Léon de penser intérieurement tout en la regardant, « La serrer contre moi, lui dire... » et lui dire, réellement : « Je vous fais la lecture ». La balade à cheval avec Rodolphe donne lieu à une explosion de sensations qui se feront musicales et dansantes comme un exutoire rock n' roll : « On dira ce qu'on voudra, moi je danse la polka ! » L'intensité dramatique et frénétique atteindra son apogée avec la scène fameuse du fiacre jusqu'à ce que, de plus en plus, Emma Bovary se lâche, chante, danse, hurle qu'elle veut « Plus de plaisir ». Le rythme est incroyable, les scènes mémorables, passant allègrement du poignant à l'hilarant, sortant efficacement Emma de sa torpeur de grande amoureuse dépressive qui pourrait se statufier entre les lignes.

avec des comédiens incarnant magnifiquement ces héros de roman

Point de blancheur pâle et mélancolique ici, mais une stature énergique, virevoltante, envoûtante pour incarner Emma Bovary. C'est la comédienne Sandrine Molaro qui fait rayonner l'esprit passionné, rêveur et combatif de cette héroïne de roman devenue un état d'âme, un état d'être - le "Bovarysme" n'est-il pas devenu la capacité de l'homme à se concevoir autre qu'il n'est ?. En véritable star de la scène, elle chante, elle danse, elle crie pour exprimer les tourments insatiables de son Emma Bovary, comme le ferait une jeune femme d'aujourd'hui. Ses « tortionnaires » masculins sont merveilleusement interprétés : du pauvre Charles Bovary qui l'aime sans passion mais avec une totale abnégation, l'excellent David Talbot, façon grand dadet un peu bênet, à la moustache blonde et aux yeux d'un bleu délicat, comme les marques d'un esprit faiblard au très séducteur Gilles-Vincent Kapps, redoutable Rodolphe en redingote grise à qui Emma crie soudain « Tu es mon roi » (le public s'esclaffe ayant trouvé une petite ressemblance avec Vincent Cassel) en passant par le très émouvant Paul Granier, jouant parfaitement les sentiments d'adoration du petit Léon Dupuis. On s'attache à tous ces héros de roman et l'on redécouvre avec un immense bonheur ce classique de la littérature française en se disant qu'en fait, Flaubert, ça dépote !

Claire BONNOT

"Madame Bovary" de Gustave Flaubert par Sandrine Molaro et Gilles-Vincent Kapps

Jusqu'au 30 juillet au Festival OFF d'Avignon
au Théâtre Actuel
Rue Guillaume Puy, 84000 Avignon

Tous les jours à 12h05.
Durée : 1h30.