À voir : si vous avez le cœur léger et bien accroché
Jusqu'au 27 juillet à 14h
au Festival OFF d'Avignon
au Théâtre des Halles
"Moi qui n'ait traîné derrière moi que des vides, je bouche enfin un trou."
Ma Folle Otarie, Pierre Notte
Au beau milieu d'une chapelle dans le Théâtre des Halles, un jeune homme normal va vivre une aventure monstrueusement grotesque et liée à... ses fesses. Un texte de Pierre Notte et une interprétation de Brice Hillairet, d'une force initiatique incroyable.
Dans une petite chapelle, le public s'installe. Une porte en bois attend quelqu'un : le comédien qui revêtira cette chemise et ces godillots. Il arrive, il se déchausse, il se déshabille, il est nu. Et se rhabille, pour devenir cet autre, celui qui va nous raconter l'histoire de sa vie... Une voix de femme résonne : « La mise en scène a opté pour que l'espace théâtral soit à la libre interprétation du spectateur, avec sa liberté d'invention et d'imagination. Bon voyage à tous. » Et quand il saute au centre de ce carré scotché sur la scène, l'odyssée démarre et nos imaginaires avec ...
Un texte hilarant et émouvant en forme de conte initiatique
« Non Madame, je n'ai pas haussé le ton, je ne l'ai jamais fait, c'est là tout mon problème. Chère Madame, je vous dis que j'ai un véritable problème de slip. Il sont tous dans cette petite valise, classés du blanc au noir. J'aimerais comprendre comment il est possible que tous mes slips se soient du jour au lendemain mis à rétrécir. » Ce jeune homme très bon chic bon genre a l'air très mal à l'aise et nous avec. Nous ne savons pas (encore) si nous devons rire ou pleurer. Se succèdent différentes saynètes toutes plus embarrassantes que les autres pour ce jeune homme apparemment normal : « Docteur, je ne vais pas me retrouver cul nu dans votre cabinet. Je suis mal à l'aise depuis quelques jours, docteur, dans mes vêtements du bas. J'aimerais avoir à ne pas tout déboutonner pour tout reboutonner. Je ne me sens pas très bien. Vous me dites que j'ai un problème de fesses ? » ou encore « Jeune homme, non, je ne paierai pas deux places dans le train de la petite fête foraine : j'aimerais m'évader l'esprit au milieu de ces horreurs de la nature. » C'est que l'indicible trivialité fait son chemin dans notre esprit : oui, on parle ici de fesses. D'un problème de fesses. Des fesses « qui ont pris un volume soudain et inattendu. » Et qui pourrissent la vie de ce jeune homme qui, on l'apprend, n'a plus de parents, n'a jamais haussé le ton, n'a jamais eu la chance d'aimer - « Esmeralda, son cœur a pris l'eau comme ce vol où elle a péri. » - et qui vient de perdre son logement faute de pouvoir littéralement rentrer dedans. C'est étrange comme cette histoire loufoque paraît si réelle, si proche de nous : il nous semble que tout cela pourrait nous arriver ou nous est peut-être déjà arrivé. Pierre Notte parvient à traiter d'un sujet trivial et grotesque avec une grande finesse et lui donner une portée plus large, interdisant presque le spectateur de plonger dans l'un ou l'autre de ces états d'âme : la compassion ou l'humour. Pour ne lui laisser que la possibilité de créer autre chose : une marche en avant, une force de vaincre, une envie d'en découdre. Celle que l'on ressent lorsque ce jeune homme qui n'a plus rien à perdre se rebelle et (re)prend vie, tout ça pour une histoire de... fesses : « Je sens monter en moi une haine de l'humanité. (…) La bouche de la grosse dame n'a rien à envier à un trou qu'on dit de balle. (...) Pour la première fois, je ne baisserai pas les yeux (ni le ton d'ailleurs). » Véritable bouée humaine, il se jettera dans la Seine, sera pêché au large avec une otarie dont il se fera une amie, fera la gloire d'un drôle de cirque - « cabaret errant des monstruosités sexuelles de nos contemporains. » - et volera du haut d'une falaise pour tomber, enfin, sur la terre ferme, en homme qu'il est devenu : « J'ai dit oui, je me sens si léger. » Ou les contes et légendes de la vie d'un homme normal qui a oublié de grandir et découvre comment se (re)construire. Une pépite !
interprété par un comédien merveilleux, véritable poète au milieu du grotesque de son existence
Parvenir à capter un auditoire pendant plus d'une heure avec pour seul décor des jeux de lumières (qui nous emportent aussi loin que le texte, travail de Aron Olah) et pour seul texte, un conte aussi loufoque que celui causé par la grosseur des fesses, c'est là toute la magie du théâtre et le brio de Brice Hillairet. Ce jeune comédien prend ici l'apparence d'un jeune homme simple, effacé, un peu mal fagoté, dont le regard façon chien perdu nous émeut autant qu'il nous repousse. Mais le plus beau, c'est que dans toute cette maladresse, cet immense malaise de devoir parler de ses fesses, il se met formidablement à nu comme certainement personne n'aurait osé le faire. Il raconte ses malheurs là où certains auraient tu leurs misères. Cette grande naïveté saupoudrée de grande solitude est déchirante et touche l'être intérieur de chaque spectateur. En nous faisant complice de sa mésaventure, il parvient brillamment à nous montrer, à nous aussi, le chemin. Celui de l'imagination, d'abord, et puis celui, de l'introspection. Puisse chacun de nous se rappeler cela : « Tu m'as aimé, je suis encore plus sur le cul. J'ai vécu ! »
Claire BONNOT
"Ma Folle Otarie" de Pierre Notte avec Brice Hillairet
Jusqu'au 27 juillet au Festival OFF d'Avignon
au Théâtre des Halles
Rue du Roi René, 84000 Avignon
Tous les jours à 14h, relâches le lundi 25 juillet 2016.
Durée : 1h10.