"Cyrano de Bergerac-Un Clown d'Automne" d'après Edmond Rostand par Sébastien Jégou Briant : la pudeur amoureuse

À voir : si vous avez le cœur passionné

Les 19 et 20 novembre
au Théâtre d'Aix

FESTIVAL OFF AVIGNON 2019

Du 5 au 28 juillet à 16h05
au Théâtre de l’Adresse


"Ma vie, ce fut d'être celui qui souffle - et qu'on oublie !"

Cyrano de Bergerac, Edmond Rostand


Quatre jeunes comédiens du Cours Florent revisitent avec poésie et tendresse le chef-d'œuvre de Rostand. Avec « Cyrano de Bergerac-Un Clown d'Automne », la pudeur du personnage inoubliable prend magnifiquement corps au milieu d'un décor appartenant au cirque et aux clowneries tristes. Poétique !

On est invité à s'asseoir par une sorte de Monsieur Loyal très élégant, en manteau rouge queue de pie et gants blancs. En fond de scène, plongée dans le noir, un homme est caché par un grand manteau. Un mur de loupiottes est allumé, des rideaux rouges habillent l'espace scénique. L'intensité est déjà au rendez-vous.

Une interprétation du célèbre texte toute en délicatesse

Quand l'homme se retourne, il a le visage d'un clown : les traits peinturlurés, le nez rouge et l'air triste. L'atmosphère du cirque associé à toute la fougue des vers de Rostand est une superbe trouvaille. Déjà se dessine la frontière chancelante entre le panache et le malheur, entre le clown gai et le clown triste, entre le courageux chevalier et l'homme souffrant d'amour. Sur une musique nostalgique d'Amélie Poulain, notre Cyrano clownesque (Sébastien Jégou Briant) vient, pendant les interludes, se consoler sur cette petite échelle en bois où Lune, façon Pierrot (Blandine Rottier), lui verse tendrement un peu d'eau sur la tête ou fait des bulles. Les scènes émouvantes jouent avec le petit cœur du spectateur qui passe du rire aux larmes en voyant Cyrano, tout penaud, faire le guignol et s'équiper - fort heureusement - d'un chapeau-parapluie pour la pluie ! C'est que la belle Roxane, sa cousine, est amoureuse... mais pas de lui. La voilà (Anaëlle Queuille) qui danse, endiablée et légère, sur la musique de Roxane (« Moulin Rouge ») pour charmer son joli cadet, le Baron Christian de Neuvillette (Ronan Bacikova). Le charme prend et les deux amants se prêtent serment sous les yeux effarés du clown amoureux - scène hilarante où la tête de clown de Cyrano dépasse du rideau de velours . L'interprétation du passage de la découverte des lettres de Cyrano-Christian, toutes plus belles les unes que les autres, par Roxane est un rêve éveillé : d'innombrables lettres jaunies s'envolent d'un coin du plateau où Cyrano écrit, écrit sans s'arrêter, comme possédé. La scène en est jonchée et Roxane s'étourdit de tant de beautés. Les scènes, bien coupées - le spectacle dure seulement une heure d'une très poétique efficacité -  savent faire place au silence, aux moments de latence, entre espérance et désespérance du personnage endolori. On respire - ou soupire - avec lui. Les jeux de lumière, enfin, orchestrent une belle intensité qui atteint son apogée lorsque les trois protagonistes - Roxane, Christian et Cyrano - se parlent à deux (et à trois sans le savoir ) dans la noirceur de la nuit d'été.

Des comédiens à la tendresse contagieuse

On sent une belle écoute et une forte complicité entre ces comédiens qui ont créé leur compagnie au doux nom de « Les Évadés ». La tendresse, la pudeur, la délicatesse, l'attention sont des vertus qui sont peu exaltées dans notre monde. On aime beaucoup à voir ces jeunes passionnés apporter leur regard rêveur, presque - et joliment - enfantin et vainqueur sur cette œuvre tant jouée. Sébastien Jégou Briant qui signe l'adaptation et la mise en scène sait véhiculer tout ça. Incarnant avec bonheur - on le sent - le sublime Cyrano de Bergerac, il navigue aisément entre les registres comiques - il aime faire le clown tendre, ça se voit - mélancoliques - il livre volontiers sa tendresse aux spectateurs - et les registres passionnés quasi désespérés. Sa générosité sur scène est belle. Son adorée, Roxane, est jouée par Anaëlle Queuille, ravissante en body noir et jupon blanc de danseuse, au phrasé très précis, très doux, jouant joliment l'attente de l'amour fou. Le beau Christian est interprété par Ronan Bacikova, long jeune homme à la moustache fine et au jeu tout en pudeur et en intelligence. La petite « Lune » jouée par Blandine Rottier est l'élément parfait dans ce tableau de vieux cirque non dénué de détresse et de beaucoup de tendresse. Plus que les envolées lyriques et le fougueux panache de l'insolent cadet, cette adaptation s'attache au passage entre l'ombre et la clarté - « Moi, je ne suis qu'une ombre et vous une clarté » - au passage à l'aveu impossible comme murmuré - « Ma vie, ce fut d'être celui qui souffle - et qu'on oublie ! Vous souvient-il du soir où Christian vous parla Sous le balcon ? Eh bien toute ma vie est là ».

Ce « Clown d'automne » est un très joli moment de théâtre, de ceux qui vous emportent loin avec des petits riens (si essentiels!), de ceux qui procurent ces petits flottements de rêverie et d'insouciance. À voir !

Claire BONNOT

« Cyrano de Bergerac - Un Clown d'Automne » d'après Edmond Rostand adapté et mis en scène par Sébastien Jégou Briant

Au Théâtre d'Aix
8, avenue de la Violette, 13100 Aix-en-Provence
Les 19 et 20 novembre 2016

Durée : 1H.