Dans une désopilante et très émouvante création autour de l'écriture de « Cyrano de Bergerac » par Edmond Rostand, le metteur en scène couronné par la critique et le public, Alexis Michalik, continue de transporter son spectateur de belles histoires en belles victoires. La première historique de la pièce mythique de Rostand comme si vous y étiez, c'est chaque soir au Théâtre du Palais-Royal !
En s'installant dans les fauteuils rouges vifs du superbe Théâtre du Palais-Royal, l'atmosphère quasi-historique nous prend déjà aux tripes. Sur scène, le décor d'époque est en place, les comédiens se prélassent dans les canapés tapissés, un chien vient se faire câliner, la rampe lumineuse est installée. Et soudain, les trois coups frappés, un comédien se prépare à nous conter l'histoire : nous sommes à Paris, en décembre 1895 au temps où la grande et grandiloquente Sarah Bernhardt déclame « La Princesse Lointaine » au Théâtre de la Renaissance, texte en vers d'un « poète inconnu ».
Un récit superbement romancé aux mille clins d'œil historiques et culturels
La pièce est un four. Il est un poète raté. Ah non ! C'est un peu court, cher public. Edmond Rostand n'a plus rien écrit depuis deux ans, d'accord. Mais c'est sans compter sur Sarah Bernhardt qui lui commande une pièce pour le déjà célèbre Coquelin, nouveau directeur du Théâtre de la Porte-Saint-Martin et ancien de la Comédie-Française dont il a déserté. Catastrophe. Edmond n'a rien, pas même une ligne. Et c'est là que la magie Michalik s'anime et dessine en multiples tableaux étonnants, émouvants, hilarants, l'histoire de la création du personnage le plus mythique du théâtre français : Cyrano de Bergerac. La tirade du nez ? Edmond en savoure quelques "extraits" attablé au café d'à-côté où le patron noir remet à sa place un jeune homme qui le hèle ainsi : « nègre ». Il en improvise les tirades - « emphatique », « dramatique », « admiratif » - poussé par l'intérêt grandissant de Coquelin, émerveillé entre deux scènes de sa pièce. La scène du balcon ? Il en pressent la beauté alors même qu'il se retrouve à déclamer des vers (fait véridique tiré de ses faits de jeunesse) pour son ami comédien « très beau mais très bête » chaviré par la belle Jeanne, pleine d'esprit. Pour la suite, l'imagination débordante, enchanteresse et profondément réjouissante d'Alexis Michalik nous fait suivre celle de Rostand, haletant et exultant, de situations cocasses en situations folles - où la belle Roxane est jouée par une actrice peu gracieuse car les deux producteurs corses (excellents) en sont entichés, où Tchekhov fréquente un joyeux bordel « Les Belles Poules » avec "l'accord" de sa femme car il va mourir (Les présentations sont superbes : « Edmond Rostand »; « Tchekhov » ; « À vos souhaits »; « Non, Tchekhov ! »), où Georges et Georges (Feydau et Courteline) jouent aux Dupont et Dupond en "dindons" de la farce et où Maurice se fend d'un "boléro" pour la première (« Maurice, c'est quoi cette musique ? Ah, c'est de moi, un boléro. »). L'esprit héroïque, fougueux et romantique d'Edmond Rostand se conjugue à merveille avec le regard tendre, ébouriffant et joyeux d'Alexis Michalik. Edmond et Cyrano ne font qu'un. La légende renaît, le spectacle se crée, la pièce est éternelle. Et le public de l'applaudir à tout rompre, comme en ce mois de décembre 1897 où la troupe fut rappelée quarante fois pour saluer sur scène et Edmond décoré de la légion d'honneur avant même que le rideau ne tombe.
Un esprit de troupe exalté et exaltant rendant un hommage vibrant au théâtre
« Mais il est un endroit où nous sommes tous côte à côte, c'est le théâtre. Écoutez les mots de Cyrano : soyez sublimes. » Ce sont les mots d'Alexis Michalik, formidable conteur d'histoires (Trois Molières pour ses deux précédents spectacles, « Le Porteur d'histoire » et « Le Cercle des illusionnistes »), grand amoureux du théâtre et qui offre à son public aimé ce qu'il y a de plus précieux : la bénédiction du théâtre populaire, celui où l'on se côtoie, où l'on se rassemble, où l'on s'émeut et où on rit ensemble. Un théâtre à l'image de sa troupe (de douze comédiens !) qui fait plaisir à voir, fougueuse, cabotine, joliment naïve, en un mot, sublime. Guillaume Sentou est extrêmement attendrissant en Edmond Rostand (la moustache lui va comme un gant) et crée aisément un personnage de récits d'aventures à la Tintin (on aimerait un épisode 2, puis 3, puis 4). Pierre Forest est magistral et tendre parvenant à nous sortir les larmes lors de la scène finale où Cyrano brandit son "panache". Christian Mulot et Pierre Bénézit sont incroyables en "Parrains corses" qui nous chantent leurs polyphonies. Et l'ensemble de la troupe porte magnifiquement cette véritable saga historique dans un décor quasi-cinématographique et des jeux de lumière fantastiques. Un joli clin d'œil à Rostand qui créa cette « comédie héroïque » titanesque aux cent acteurs au moment même où le cinéma allait tout bousculer. Le grand écran n'a rien à envier à cette folle épopée à laquelle on participe, nous, public, témoins privilégiés des coulisses. « Tout ce qui nous importe, à nous, acteurs, c'est le public, c'est l'instant. Nous sommes des artisans de l'éphémère. » Merci Edmond, Merci Cyrano, Merci Alexis.
Claire BONNOT