Reprise du 22 décembre 2017 au 12 avril 2018 à la Comédie-Française
"Monsieur, c'est Rosimond devenu raisonnable"
Le Petit-Maître corrigé, Marivaux
Dans un décor digne d'un tableau impressionniste, Clément Hervieu-Léger, pensionnaire de la Comédie-Française, met joliment en scène la troupedans une pièce inédite de Marivaux, seulement jouée deux fois en 1734. Où il est question d'amour et d'orgueil Paris-Province - et inversement - dans une superbe profondeur de sentiments qui résonne encore parfaitement dans notre temps.
La scène de la salle Richelieu est jonchée de hautes herbes broussailleuses qui dessinent une campagne battue par les vents, paisible et belle entre les ciels clairs et la clairière accueillante. Une jeune fille en jupons - Hortense, fille de comte (la ravissante Claire de la Rüe du Can) - arrive dans ces landes avec tout un attirail de peintre et se prépare à démarrer ses croquis et admirer ses toiles en cours. C'est alors qu'une jeune femme sautillante et espiègle vient l'interrompre dans ses travaux. C'est Marton, sa fidèle servante (l'excellente Adeline d'Hermy) qui vient l'entretenir d'un sujet agréable : son prochain mariage avec Rosimond, jeune Parisien.
Une pièce vieille de deux cent ans qui vient donner une belle leçon à notre temps
Clément Hervieu-Léger aime à bousculer les préjugés qui décimentent profondément nos sociétés. Après sa superbe adaptation d'une autre pièce oubliée, de Molière cette fois-ci, où se confrontaient là aussi, et violemment, Paris et la province - Monsieur de Pourceaugnac, jouée par la compagnie des Petits-Champs - il fait renaître une pièce de Marivaux injustement déprogrammée du Français en 1734. Un jeune Parisien, un « petit-maître » d'alors - des précieux qui ne feignaient jamais de tomber amoureux faute d'être pris en flagrant délit de niaiserie : le passage où Frontin, valet de Rosimond, explique à Marton l'économie des mariages à Paris est superbe, « La fidélité de Paris n'est point sauvage, c'est une fidélité galante, badine, qui entend raillerie, et qui se permet toutes les petites commodités du savoir-vivre. » - est promis par sa mère à la fille d'un comte de campagne, Hortense. Celle-ci n'est pas née de la dernière pluie et bien que le joli damoiseau lui plaise, décide de le « corriger » avec l'aide de sa servante, Marton. Il devra lui avouer son amour total ou elle ne lui accordera pas sa main. S'enchaînent alors des marivaudages incessants, avec amante (Dorimène - Florence Viala) et nouveau prétendant (Dorante-Thierry Hancisse), qui ajoutent force épisodes à cette histoire d'amour tourmentée : (Marton) « Monsieur, elle m'a corrigé (...) Je ne voulais pas aimer Marton parce que je croyais qu'il était malhonnête d'aimer sa future. Faites comme-moi, j'aime à présent de tout mon cœur. Hortense vous plaît, je l'ai remarqué, ce n'est que pour être joli homme, que vous la laissez là. » Marivaux semblait déjà connaître notre siècle coincé entre les orgueils - revendications parfois opposés - de l'homme et de la femme et l'impossibilité grandissante à se dévoiler tout entier. La langue du dramaturge est complexe mais imparable, amenant lentement mais sûrement une situation drolatique vers le drame mais où fort heureusement tout est bien qui finit bien. Chaque phrase prononcée par chaque personnage fait mouche et devrait être notée sur un petit carnet pour se rappeler combien les relations d'amour sont conditions de belles paroles - et non pas factices - intimement pensées et prononcées. C'est ce que comprendra le Petit-Maître corrigé, aidé de Marton, la servante de sa promise, et de son propre serviteur, Frontin, qui a lui-même cessé le petit jeu idiot du fat qui se croît plus intelligent que l'amour et les vrais sentiments.
Des acteurs formidables s'amusant autant que le public de ce marivaudage pas si anodin qu'il n'y paraît
Le rythme est soutenu comme toujours dans les superbes mises en scène de Clément Hervieu-Léger. On court, on crie, on s'aime, on se bat et on se débat dans ces herbes folles qui, elles, ne bougent pas. Adeline d'Hermy est inoubliable dans son rôle de servante, Marton, plus fine que tous, avec son ton gouailleur et ses manières libres. La raffinée Claire de la Rüe du Can est parfaite dans son rôle de jeune amoureuse formidablement moderne qui exige l'Amour avec un grand A. Christophe Montenez est très attendrissant dans son rôle de valet au cœur pur, quoique l'accent paraisse un peu forcé. Loïc Corbery, le Petit-Maître corrigé, est bien évidemment irrésistible : son arrivée avec ombrelle, ses petits rires précieux et ridicules, puis sa soudaine virilité de mâle étreint par le désir et l'amour sont admirablement joués. Mention spéciale pour l'intense scène finale qu'on n'attendait pas au détour d'un marivaudage. Le père de la belle Hortense, Didier Sandre, est parfait dans sa majesté tout comme Dominique Blanc, jouant la mère de Rosimond. La révélation de cette pièce est Florence Viala, jouant l'amante parisienne finalement éconduite de Rosimond. Sculpturale en robe pigeonnante et rougeoyante, elle promène sa pathétique entreprise d'amour avec un petit air et des mauvaises manières dignes d'une Marquise de Merteuil qui serait jouée par Annette Bening, à qui elle ressemble étrangement. Ce personnage est incroyable et permettra, à cause de sa hâte, l'heureux dénouement final. Le divertissement est total et la conclusion, intense. Une pièce à voir et à écouter avec grande attention.
Claire BONNOT
"Le Petit-Maître corrigé" de Marivaux, mis en scène par Clément Hervieu-Léger
Jusqu'au 24 avril 2017 à la Comédie-Française 1, Place Colette, 75001 Paris
Mâtinées à 14h, soirées à 20h30 Durée : 2h05 sans entracte