"La Grenouille avait raison" de James Thierrée : destination la Terre promise

À voir si : vous avez le cœur léger et passionné

Jusqu'au 31 décembre 2016
au Théâtre du Rond-Point

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"Vivons ensemble, ici, quelques instants, des choses insensées qui ont peut-être du sens, à l'horizon du bout de notre nez."

James Thierrée, à propos de "La Grenouille avait raison".


Le nouveau monde du fantastique artiste et acrobate James Thierrée a des allures de mare aux grenouilles dans laquelle se jouerait, en terres souterraines, le mystère de l'existence, alliant vestiges du passé et éléments d'un futur fantasmé.

Le spectacle démarre toujours avant les trois coups chez James Thierrée : il se définit aux superbes rideaux qui nous séparent de son monde aux merveilles, de son pays imaginaire, de son royaume des fées ou plutôt de monstres chimériques incroyables. Ce soir-là, les immenses rideaux dégoulinent de toute leur majesté - de velours rouge - sur le devant de la scène. Soudain, une voix intense et mélodieuse (Mariama) s'élèvent de ces profondeurs que l'on pressent. C'est une jeune déesse de quelques contrées futuristes - un air de Princesse Leia, jouant la narratrice d'un conte qui s'ouvre alors sous nos yeux. Le spectacle est total : mimant des profondeurs abyssales, s'élèvent d'immenses draps tâchés de boue entourant un escalier tournant menant à un engin kaléidoscopique géant. 

Un monde parallèle aux impressionnants rouages techniques et fantastiques se déploie et s'anime sous nos yeux

James Thierrée a reçu le don de faire parler sans discours mais avec force mimes, contorsions, danses et mélodies ce qui nous remue à l'intérieur sans qu'on puisse se l'expliquer. Depuis la création de sa "Compagnie du Hanneton" (en 1998) et ses nombreux spectacles tous plus fantastiques les uns que les autres, le petit-fils de Charlie Chaplin et le fils de Victoria Chaplin et Jean-Baptiste Thierrée, les superbes artistes du Cirque Invisible, continue d'explorer des mondes parallèles à la poésie immense et qui n'appartiennent qu'à lui pour expliquer le monde actuel. Dans ce monde aquatique, un nénuphar géant qui s'illumine de mille couleurs et se meut selon ses diverses ardeurs domine les profondeurs de la mare aux grenouilles, en machine conquérante parmi les êtres humains. Peut-être est-elle commandée par une petite créature agile, aux allures de grenouille, qui trône sur son nénuphar du futur, en reine naturelle (la danseuse Thi Mai Nguyen). L'escalier en colimaçon donne l'illusion qu'une sortie est possible tandis que le piano joueur - il s'anime tout seul - ou le lavoir magique remplissent de beauté et d'aspirations ce lieu pourtant embourbé. 

dans lequel des hommes aux allures d'errants tentent de vivre sous le joug d'une créature qui semble régner sur leur existence

Les hommes qui habitent cet impressionnant espace sous-marin - ou qui y sont emprisonnés - plutôt que d'être désœuvrés s'acharnent à s'occuper dans des jeux enfantins - jeux de mains, avec un élastique entre les doigts, tendre et hilarant de James Thierrée éclairé d'une lampe torche - et des jeux de vilains - batailles homériques entre ces contorsionnistes incroyables (Valérie Doucet et James Thierrée) dans des corps-à-corps indémêlables. Les numéros s'enchaînent dans une poésie superbe, entre mimes à répétitions évoquant avec tendresse l'héritage chaplinesque, chamailleries de clown et d'auguste (joué avec une présence superbe par le comédien Jean-Luc Couchard), danses chaloupées avec vaisselle précieuse prête à se casser, ingénieries orchestrées pour tenter de voler (le technicien a des airs de chevaliers de La Table ronde, le robuste Samuel Dutertre)... Tel le grenier rempli des trésors de l'enfance, ce monde aquatique et intergalactique renferme toute la nostalgie, l'énergie et les rêves de cet âge béni. Le nénuphar géant auquel on accède par un escalier tournant pourrait bien représenter le passage effrayant mais fascinant à l'âge adulte. Mêlant à l'imaginaire foutraque, grinçant et chimérique de la galaxie cinématographique Star Wars son imaginaire nostalgique et résolument vintage (bestiaires sublimes de sa mère, Victoria), James Thierrée dessine les frontières d'un nouveau monde, celui que l'Homme cherche inlassablement. La grenouille a-t-elle raison ou pas ? Il nous fait un don encore bien plus précieux que de nous donner la réponse à cette bien étrange question. Il nous fait don de son talent d'artiste avec un grand A : réveiller l'âme et la faire accéder à la spiritualité, la Terre promise en quelque sorte.

Claire BONNOT

"La Grenouille avait raison" par James Thierrée

au Théâtre du Rond-Point
2bis, avenue Franklin D. Roosevelt
75008 Paris
Du 1er au 31 décembre 2016 à 20h30, relâche le 29 décembre et à 15h le 31 décembre
Durée : 1h20.