"Le Dernier Testament" de James Frey par Mélanie Laurent : le mystère se terre encore

Du 25 janvier au 3 février 2017
au Théâtre National de Chaillot

À voir si : vous avez le cœur bien accroché


"Un miracle ou était-ce juste une part de nous-mêmes ?"

Ben dans Le Dernier Testament de James Frey par Mélanie Laurent


Pour sa première mise en scène au théâtre, l'actrice et réalisatrice Mélanie Laurent a choisi l'adaptation d'un roman de James Frey, Le Dernier testament de Ben Zion Avrohom, racontant les actions d'un Messie du XXIème siècle. Malgré une scénographie superbe, des acteurs au diapason et des questionnements excitants, le mystère tant attendu ne se manifeste pas, faute peut-être à ce texte qui ne semble pas avoir trouvé la clé de l'existence et de l'amour entre les hommes.

Une histoire qui se veut profonde mais se complait en une succession de bons sentiments

L'entrée en matière est une vraie réussite : le jeune comédien habité qui joue le narrateur (le très talentueux Gaël Kamilindi) énonce sa propre histoire (la véritable histoire du comédien, moment très émouvant pour ceux qui le connaisse) faite de multiples origines, ancrée par un nom et un prénom à la signification précise. Il est Gaël Kamilindi né tant d'années après Jésus-Christ. Mais après tout, pourquoi ne placerait-il pas son existence en fonction de quelqu'un d'autre, de ce Ben, par exemple, dont tout le monde parle ? Car, dit-il, « Tout ça est une convention, si ces histoires deviennent réelles, c'est parce que vous y croyez. » Démarre une succession de témoignages de ceux qui ont vu ou fréquenté Ben : une jeune mère et prostituée qui le décrit comme un solitaire alcoolique, un chef de chantier qui l'a vu dans une mare de sang après un grave accident sur place, un fidèle de l'église de son frère qui l'a vu avoir des sortes d'extases christiques sur son lit d'hôpital, des rejetés de la société vivant dans un tunnel sous la ville qui parlent d'un être incroyablement lumineux et généreux... Bientôt le doute n'est plus possible : Ben serait le sauveur christique du XXIème siècle dont tous les problèmes et questionnements sont ici relatés. La solitude, l'alcoolisme, la prostitution, l'enfermement dans des textes religieux, la pauvreté et l'exclusion. Dans une sorte de road-trip de gourou des temps modernes, le Ben en question, jean bleu layette et t-shirt rose pâle, apporte la lumière, l'ouverture d'esprit (il embrasse les hommes autant que les femmes), les solutions (écologiques et humanistes grâce à une sorte de reconstitution d'une communauté hippie vivant d'amour et d'herbe fraîche) partout où il passe, non sans profiter de la belle chair. Bien sûr, de tels « miracles » sont impossibles sur Terre et Ben est vite repéré puis arrêté, cloué au pilori de sa prétendue folie. Il sera « crucifié » pour ses actions non conformes à la société. Si le public est désemparé, c'est bien le but car on ne sait que penser des mœurs de cet homme vraisemblablement dépravé mais qui prône des valeurs auxquelles on adhère. Pourtant, les questions existentielles restent en surface et le mystère de la pièce - ou du texte - ne prend pas. Si la solution à tout est l'amour - il est vrai - de quel amour s'agit-il ? Pourquoi ne le ressent-on pas ? On salue cependant la recherche et l'engagement de Mélanie Laurent qui ne sort pas cette œuvre de nulle part. Elle est en pleine réflexion comme en atteste son documentaire écologique Demain et son film intense et fort sur le harcèlement, Respire. Elle est donc bien en route pour nous révéler une partie du mystère des choses de la vie et du vivre-ensemble.

pourtant bien mise en scène et très bien interprétée par des comédiens justes oscillant entre la retenue et la tension troublante

Peut-être un peu trop parfaites, la scénographie, la mise en scène et la direction des acteurs réalisent cependant un sans-faute, quoique certains moments traînent parfois un peu en longueur. La scène jonchée de terre, éclairée de lanternes ou de clair-obscurs superbes, installe un conte d'une humanité en chantier - et c'est le cas. La technique ne vient jamais altérer les moments de jeu des comédiens mais plutôt accompagner le trouble, l'impression de vie future qui se dessine sous nos yeux d'êtres humains inquiets de ce que nous apportera ce siècle. Mention spéciale au jeu du Jésus-Christ de notre ère, incarné par Jocelyn Lagarrigue : d'abord dégoûtant, mutique, banal, il devient charismatique (à faire peur, tel un gourou de secte) sans en avoir l'air, établissant très bien cette gêne que l'on ressent en voyant ce jeune homme tout simple faire autant de choses parfois choquantes ou parfois impressionnantes. Tous les autres comédiens sont très justes, sans jamais exploser, donnant l'impression d'être anéantis par leur vie difficile ou d'être sous le charme de cet homme décidément doué de certains talents. Cette pièce et cette mise en scène ne laissent pas indifférents et amènent à se poser des questions sur l'existence. Une réussite certainement pour Mélanie Laurent qui a souhaité privilégier l'espace théâtral au grand écran pour que, dit-elle, « des hommes s'adressent à d'autres hommes ».

Claire BONNOT

"Le Dernier Testament" de James Frey par Mélanie Laurent,

Du 25 janvier au 3 février 2017,
au Théâtre National de Chaillot,
1, place du Trocadéro, 75016 Paris

Durée : 2h sans entracte.