« L’Avaleur » de Robin Renucci : le diable se cache dans les OPA

Du 13 janvier au 18 février 2017
à la Maison des métallos

À voir si : vous avez le cœur léger


"Vous m'intéressez et je veux vous avaler"

Frank Kafaim dans L'Avaleur


En adaptant Other's People Money, la pièce du dramaturge et homme d'affaires américain, Jerry Sterner, écrite en 2000, Robin Renucci engage avec sa troupe « Les Tréteaux de France » une réflexion ludique et profondément impactante sur nos temps modernes et les conséquences du capitalisme acharné. La performance de Xavier Gallais en ogre de la finance ultra-jouisseur et sans scrupule est plus que délicieuse.

Un conte sociétal et social qui explore l’inhumanité des systèmes et l’humanité des êtres

L'histoire nous est présentée comme un conte mais « pas un conte de fées ». Il sera question d' « un chevalier blanc (qui) peut se transformer en chevalier noir si la princesse est trop belle ». La princesse en question est une prospère entreprise de Cherbourg qui se voit convoitée par un chevalier noir au visage de spécialiste du rachat d'entreprises opérant ses magouilles inhumaines depuis la City londonienne. Le jour arrive où il vient en personne pour annoncer la nouvelle du rachat et de la liquidation à venir des activités de l'entreprise. Le contraste est total entre le chef d'entreprise à l'ancienne (excellent Jean-Marie Winling à la figure de patriarche) ayant bâti une affaire prospère sur de l'humain et du concret et le voyou des temps modernes, professionnel de l'OPA et du jeu boursier, l'énorme et ignoble Frank Kafaim (extraordinaire Xavier Gallais), affamé d'argent - « Je n'en ai pas besoin, j'ai le désir d'argent » - de bouffe (des éclairs) et de sexe. Cet homme aime se remplir les poches mais pas que : il aime le jeu, le risque, la rivalité. Il allume alors la mèche d'un jeu d'intimidations extrêmement pervers qu'une jeune et brillante avocate (la fille de l'adjointe et femme du chef d'entreprise, belle composition de Marilyne Fontaine) va tenter d'éteindre avec des combines de son cru. C'était sans compter sur l'extraordinaire amoralité du dégoûtant personnage ainsi que - difficile à imaginer au vu de son aspect physique révulsant - sur sa capacité folle de séduction. Si la jeune femme - comme le public, à vrai dire grâce à la grivoiserie irrésistible de l'espiègle Xavier Gallais - est titillée par ce monstre d'inhumanité, c'est bien qu'il porte en lui une humanité. C'est là où l'argumentaire de la pièce est fascinant, parfaitement illustré dans la scène du discours de l'avaleur et du chef d'entreprise devant les actionnaires pour le vote final. Le speech du représentant de ce monde pourri de la finance est presque séduisant. Car le diable, c'est bien connu, dit toujours une part de vérité.

porté par un Xavier Gallais amoral et irrésistiblement attirant en capitaliste jusqu'au-boutiste

Cette pièce paraît avoir été écrite pour ce comédien jouisseur de la scène qu'est l'époustouflant Xavier Gallais. Rendu énorme pour le rôle, perruqué façon Donald Trump, il n'a jamais paru aussi peu attirant. Et pourtant, il n'est question que de séduction dans cette interprétation d'un méchant de contes de fées contemporain. Il oscille avec une grande élégance - c'est épatant pour un rôle au demeurant répugnant - entre l'attitude cavalière et vulgaire d'un obsédé et celle d'un bandit qui s'assume sans vergogne. Les autres comédiens - tous très bons - ont aussi cette allure de pantins, chacun vêtu d'une couleur vive et coiffé d'une perruque stylisée. Celui qui tient les fils ne serait-il pas une main invisible, plus grosse et monstrueuse que le simple humain, balloté malgré lui (même le plus méchant des hommes) par cette machination qu'il ne contrôle plus ? L'avenir, toutefois, apparaît radieux avec la descendance (les enfants de l'Avaleur et de la jeune avocate) qui semble renouer avec la vérité de l'humanité. Comme quoi les systèmes ne peuvent rien contre l'âme. Une touche d'optimisme finale qui fait chaud au cœur.

Claire Bonnot

« L’Avaleur » de Robin Renucci, Les Tréteaux de France

Du 31 janvier au 18 février 2016
à  La Maison des Métallos

Du mardi au vendredi à 20h, le samedi à 19h et le dimanche à 16h.
Durée : 1h40.