Cette pièce remplie de pudeur et de tendresse nous fait entrer dans la vie perturbée de quatre orphelins adoptés au sein de la même famille après avoir été victimes collatérales des guerres du XXIe siècle. Samir, Sarah, Pierrot et Tekitoi représentent bien plus qu'une drôle de famille, ils sont porteurs d'un fol espoir en l'humanité.
Des cubes blancs, une lueur glauque (d'hôpital) et des jeunes gens qui arrivent un à un, abattus. Il s'agit bien d'une salle d'attente d'hôpital. Manou n'en a apparemment plus pour très longtemps. Sarah, Samir, Pierrot et Tekitoi ne se sont pas vus depuis dix ans. Après les avoir réunis pour les faire vivre, leur mère adoptive les réunit au seuil de sa mort. Après cette si longue nuit de veille, ils seront liés à tout jamais. Un véritable éveil.
Une famille apparemment impossible se construit sous nos yeux avec une infinie pudeur et une vraie profondeur
L'enjeu était grand : parvenir à faire exister, sans pathos, cette histoire de quatre orphelins issus de cultures, de religions et de pays différents, rescapés des grandes guerres de notre époque, qui se retrouvent adoptés par une famille aimante comme si « Il était une fois... » existait dans ce cas-là. Et le défi est relevé et joliment. L'écriture - entre les flash-backs de l'enfance saccagée par la guerre, les attentats, l'abandon et la verve, propre à l'enfance, du vivre-ensemble - trace avec précision et une véracité totale de ce que sont les liens familiaux, cette histoire de destins en commun. La grande force du texte - et de l'interprétation - est d'avoir l'impression de reconnaître, dans ses récits de frères et sœurs, sa propre famille. Et pourtant, peu de familles peuvent se targuer d'avoir en leur sein une juive (Sarah, très émouvante Elodie Menant) dont la famille est morte dans un attentat à Jérusalem, un musulman à jamais marqué par les conflits à Bagdad (Samir, très juste Slimane Kacioui), un catholique rescapé d'un massacre dans une église africaine (Tekitoi, le superbe Olivier Dote Doevi) et un gosse athé abandonné par sa mère du côté d'Aubervilliers (Pierrot, le gros dur au cœur tendre Maxime Bailleul). Malgré leurs parcours terribles, leurs origines opposées par la géopolitique du monde des hommes, leur apparente impossibilité à pouvoir se parler et se comprendre, ils ne font qu'un grâce à une personne qui a cru en leur humanité, en leur possibilité à communiquer, leur mère adoptive, Manou. Et on y croit avec elle avant même qu'ils y croient eux-mêmes. Car cette pièce raconte leur évolution commune et leurs désaccords multiples au sein de ce même foyer. Il leur faudra dix ans et l'évocation de souvenirs au chevet de leur mère mourante pour comprendre que leur famille, même imparfaite et semée d'embûches, en est une.
dans une mise en scène précise et intimiste au service de l'émotion
Comment toucher à l'infinie blessure d'enfants meurtris par les horreurs de la guerre ? Laurent Natrella dirige superbement ses quatre beaux comédiens en naviguant pudiquement entre le monde de l'enfance - la maison en carton, les dessins, le ballon rouge, les jeux - et celui de l'âge adulte arrivé trop tôt. Tekitoi fait des cauchemars la nuit mais il trouve ensuite comment prendre le dessus sur l'horreur du massacre qui a emporté toute sa famille. Il court. Pour extraire la rage qui l'anime, il souffle, il respire...mieux. Il sera champion olympique. Pierrot fugue, vole, dort dans la rue. Il cherche sa mère. Plus tard, il sauvera une vie en devenant lui-même père adoptif. Chacun à son tour trouvera la clé de son destin en revivant son enfance au cours de cette si longue nuit de peine... et de communion. Un appel doux et possible au vivre-ensemble.
Claire BONNOT
"Après une si longue nuit" de Michèle Laurence et mis en scène par Laurent Natrella, sociétaire de La Comédie-Française
Du 7 au 30 juillet 2017
au Théâtre du Roi René, 4, bis, rue grivolas, 84000 Avignon
À 20h30. Durée : 1h20.