"Douce-amère" de Jean Poiret par Michel Fau : le jeu de l'amour et du langage

À voir si : vous avez le cœur léger et tourmenté

Du 16 janvier au 22 avril 2018
aux Bouffes Parisiens

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"Tu ne sauras rien. (...) Je ne veux pas que tu conduises ma vie par personne interposée. C'est ça la fin d'un couple : être toujours l'un près de l'autre et perdre la trace de ses cheminements réciproques. Tu pèses trop lourd sur moi, Philippe, sous tes dehors aériens."

Douce-amère, Jean Poiret


Ressuscitant une pièce oubliée du très élégant Jean Poiret, Michel Fau, fantasque et libre esprit du théâtre français, offre un moment de théâtre comme on en voit peu : une pièce de boulevard à part car hilarante et spirituelle. « Douce-amère » n'est que finesse et profondeur, le tout dans une atmosphère décalée et avec un langage extrêmement travaillé. C'est « Absolument fabuleux » !

Dans un salon très pop tout droit sorti d'un magazine de déco des années 70 - canapé en forme de soucoupe volante, couleurs criardes un brin surannées - sont assis une femme, très belle, un homme, à la moustache fine et un autre, au costume... baroque. Ils conversent sur un ton faussement badin. Dès les premières répliques, le rire (jaune) est au rendez-vous. On a affaire à une sacrée langue, celle de Jean Poiret, entre sophistication et acidité. Rien que du plaisir... Voyez-plutôt : « Ah ! Nous pouvons. Nous pouvons adopter le mode optimiste aussi. J'ai personnellement peu de sympathie pour l'optimisme, mais nous pouvons ! »

Une pièce de boulevard sur le couple qui cache des trésors de questionnements

Lorsque la pièce commence, le public est directement plongé dans une affaire (bien avancée) de couple en délitement. L'on assiste à une étrange soirée entre Philippe, le mari (excellent Michel Fau entre nonchalance surjouée et réelle angoisse de la rupture), Elisabeth, la femme (pétillante Mélanie Doutey, parfaite image de la femme libérée et romantique à la fois) et Michel, le probable futur amant (parfait Christophe Paou, modèle de sophistication, mention spéciale à sa superbe moustache). Après huit ans d'amour, le couple d'Elisabeth et de Philippe s'est usé. Elisabeth, surtout, souhaite reprendre sa liberté. Alors qu'elle tente de se défaire en douceur de ce mari et de cette relation, celui-ci, apparemment résigné, cherche à lui choisir ses amants. Qui prendra le dessus sur l'autre ? Là n'est pas la question. Le cheminement de l'histoire de Jean Poiret est formidable car, de scène en scène, il révèle, à la lumière de la complexité de la langue et de la communication entre les personnages, la complexité des sentiments amoureux et individuels. L'enfermement que peut entraîner une relation, la difficile quête de liberté d'une femme qui n'aime plus mais qui a aimé et qui veut surtout s'émanciper, le fantasme de l'Autre, l'amant, cet homme tout beau, tout nouveau, tout jeune... On rit beaucoup lorsque Philippe réunit pour dîner Elisabeth, sa future ex-femme, Michel, le futur amant de celle-ci et Stéphane, l'actuel, qu'il a réussi à débusquer. Mais le jeu est infiniment cruel. Et la cruauté ne vient pas forcément de celle qui a trompé.

Cette pièce dit ainsi beaucoup sur la recherche d'émancipation d'une femme en couple à l'époque mais aussi d'une relation amoureuse qui vous a façonné corps et âme. Pour mieux se retrouver soi-même et avec l'autre, il faut en réalité arpenter un vrai chemin de solitude. Mais Elisabeth et Philippe se retrouveront-ils ? Les trois amants ne seront pas l'obstacle que l'on croit à ce couple en recherche. De bout en bout, cette pièce est fascinante, à la fois dans la langue - merveilleuse de sophistication, de préciosité parfois et d'intelligence dans l'analyse de la psychologie humaine - et dans les situations - les revirements amoureux entre Elisabeth et ses amants suite à un système de pensée et d'action qui enferme à nouveau la femme en quête de vérité des sentiments. Dans le jeu de l'amour, tout n'est peut-être que jeu de langage, semble-nous dire Poiret. Dramatique : « Toi, les hommes qui m'ont précédé dans ta vie, Philippe, m'avez fixé un cadre dont je ne peux pas sortir. (...) Parce qu'il s'est rendu compte qu'il était faillible, il nous a condamnés, tous les autres, à l'infaillibilité. C'est une position intenable en amour. » (Michel).

menée tambour battant par des comédiens jouisseurs de la langue de Poiret

D'aucuns ne comprennent pas l'utilité de ressusciter ce texte et dans le même contexte qu'à l'époque - la libération des mœurs des années 70. Il est pourtant passionnant de découvrir un versant plus mélancolique et tourmenté de Jean Poiret, auteur de la mythique « Cage aux folles » au travers de la pièce « Douce-amère », écrite en 1970, qui, n'ayant pas été rejouée depuis près de cinquante ans, se devait d'être présentée dans son jus. Certaines pièces actuelles du théâtre de boulevard sont affligeantes car elles ne jouent que sur le comique de situation et les clichés pour faire rire l'auditoire qui se retrouve alors piégé dans sa bassesse humaine. Ce qu'on attend du théâtre de boulevard n'est pas forcément de l'ordre du pur divertissement car le rire - on le sait bien - cache justement des trésors de questionnements profonds. Ici, le texte, l'histoire, le sens et le jeu sont en parfait alignement pour nous faire passer un excellent moment. Dans ce décor psychédélique seventies, Michel Fau a trouvé un rôle à son image : intelligent, bavard (dans le bon sens), sophistiqué. En relisant le texte de Poiret, on se prend à mimer les intonations de Fau. La pièce est décidément faite pour lui ! Mélanie Doutey, brune pétillante bien connue du cinéma français, reçoit ici un rôle à sa mesure. Elle est irrésistible dans sa gaieté et déchirante dans son incapacité à aimer et se faire aimer. Ses trois amants sont superbes : David Kammenos, d'abord, le bellâtre de l'affaire - « l'amant charnel » - parvient à instiller des sentiments plus subtils à ce personnage enfermé dans sa seule beauté. Rémy Laquittant, ensuite, le littéralement « homme-objet » comme le qualifie Elisabeth, est épatant dans son jeu décalé, presque faux (il était ainsi fabuleux dans La Logiquimpeturbabledufou de Zabou Breitman en Avignon cet été), de jeune bêta qui veut faire l'homme. Christophe Paou, ensuite, qui n'est un amant qu'à la fin, s'offre un monologue sublime et devient aussi brillant que son smoking. Tous font résonner ce langage absolument fabuleux, entre beauté poétique et prise de tête communicationnelle.

Claire Bonnot.

"Douce-amère" de Jean Poiret, mise en scène par Michel Fau

Du 16 janvier au 22 avril 2018
aux Bouffes parisiens,
4 rue Monsigny 75002 Paris

Du mardi au samedi à 21h00
Matinées le samedi à 16h30 et le dimanche à 15h