"Swann s'inclina poliment" d'après Marcel Proust par Nicolas Kerszenbaum : à la recherche de l'amour perdu

À voir si : vous avez le cœur passionné et tourmenté

Du 5 au 26 juillet 2019 à 22h25
au Festival OFF d’Avignon
au Théâtre 11 - Gilgamesh Belleville

© Alex Nollet-La Chartreuse

© Alex Nollet-La Chartreuse


“La présence d’Odette à mon salon ajoute pour toi à cette maison ce dont n’est pourvu aucune pièce où tu es reçu : une sorte d’appareil sensitif, de réseau nerveux qui se ramifie dans toutes les pièces et apporte des excitations constantes à ton cœur.”

Swann s’inclina poliment, d’après Marcel Proust


Dans une atmopshère de boudoir chic et pop, la compagnie franchement,tu adapte avec une poésie rock & déchirante l’une des parties du chef-d’œuvre proustien, Un amour de Swann. Un coup de foudre théâtral !

En deuxième partie de soirée avignonnaise, nous voilà conviés à l’un des salons les plus courus de l’histoire littéraire, celui de Mme Verdurin, personnage haut en couleur de Marcel Proust dans À la recherche du temps perdu. Ce soir-là vêtue de fourrure et de collants résille, elle oscille déjà entre deux conditions, celle de la grande dame et celle de la courtisane. Aussi fabuleuse que ridicule, la maîtresse de cérémonie est accompagnée de deux acolytes bien assortis : un peintre au complet bleu électrique et à la petite moustache fine et une demoiselle bien belle, habillée de noir et de son plus envoûtant regard. Nous, nous sommes Swann, Charles Swann, l’intrus, l’invité, le petit nouveau, le regard extérieur. Et la soirée endiablée de débuter au son d’une guitare et d’un piano volontiers mélancolique habillant tous deux parfaitement cet espace hors du temps, boudoir fleuri d’où pourraient sortir les effluves libertins de La Dame aux Camélias ou boîte de nuit d’aujourd’hui aux néons aveuglants.

Un feu intérieur nous dévore à l’écoute de ces textes merveilleusement intimes livrés avec une caressante désespérance : celui de se (re)plonger au cœur de la prose enflammée de Marcel Proust.
— Apartés

Une invitation puissante à goûter aux sentiments perdus



Sous nos yeux intrigués, attentifs, attirés, se dandinent ces trois bien jolis personnages, cancanant joyeusement avec le sentiment d’être extrêmement intéressants. Ils piaillent allègrement, se complimentent et s’admirent sous notre regard, celui du personnage de Charles Swann que nous jouons malgré nous. Ce bel aristocrate cultivé, né sous la plume du grand écrivain, intéresse évidemment la jolie demoiselle, une demi-mondaine dont l’éclat est vanté haut et fort par la tonitruante Mme Verdurin. Bien qu’elle ne soit « pas son genre », l’élégant mondain sera pris dans ses filets de grande séductrice avisée avec toute la grâce d’un grand fou amoureux. Disséquant ses sentiments avec presque autant de jouissance que ce que lui procure l’acte d’amour même, Charles Swann s’enivre et se laisse aller à voir désormais en la petite Odette de Crécy une réplique d’un tableau de Botticelli. Cette sublime manière de tomber en amour est intensément partagée par la mise en scène de Nicolas Kerszenbaum qui s’empare avec fougue des mots de Marcel Proust. Comment ? En faisant susurrer ces poèmes langoureux et transcendants à la faveur de la sonorisation vibrante d’un micro et d’un accompagnement musical conviant à une cérémonie aux airs de sacré. Si d’autres aspects plus caustiques ou sociologiques du roman ont été adaptés, c’est vraiment l’illustration de la passion amoureuse puis de la jalousie dévorante telle une pieuvre qui nous a profondément remués. La mise en scène musicale submerge d’émotion (entre des morceaux poignants d’Erik Satie et une reprise de La Danse macabre de Saint-Saëns), la scénographie baignant sans cesse dans un clair-obscur mystérieux hypnotise, le jeu évanescent de cette Odette idéalisée, déesse et démon à la fois, attire et la longue complainte de Swann scandée tel un poème désespéré éveille à l’expérience de l’amour. Tout invite à croquer dans la madeleine des souvenirs de Marcel Proust.

Un jeu dévorant

Très vite, un feu intérieur nous dévore à l’écoute de ces textes merveilleusement intimes livrés avec une caressante désespérance : celui de se (re)plonger au cœur de la prose enflammée de Marcel Proust. Une interprétation magnifique, habitée et fiévreuse à saluer de Gautier Boxebeld. L’objet de son amour, Odette de Crécy, est joué par la piquante Marik Renner dans une sensualité pure, offrant, entre autres, un numéro de danse lascive remarquable d’intensité et opérant comme une fleur vénéneuse sur le cœur de Swann. Madame Verdurin, parfaitement jouée par la savoureuse Sabrina Baldassarra, ajoute à ce petit jeu d’amoureux le piquant nécessaire pour éviter le pathos et rappeler à la réalité, celle des illusions perdues. Swann le comprendra : « Dire que j’ai gâché des années de ma vie, que j’ai voulu mourir, que j’ai eu mon plus grand amour, pour une femme qui ne me plaisait pas, qui n’était pas mon genre ! » Avant de laisser s’échapper le rêve, laissez-vous vous consumer d’amour, de mots et de musique avec “Swann s’inclina poliment”…

Claire Bonnot

"Swann s'inclina poliment" d'après Marcel Proust par Nicolas Kerszenbaum avec la compagnie franchement,tu

Durée : 1h25