"Les Bouges" de Jean Husson par Ronan Bacikova : Les enfants de Paris

À voir si : vous avez le cœur léger et passionné

Du 29 août au 1er septembre 2019
aux Estivales d’Art & Cendres
à Vendegies-sur-Écaillon

© Fanny Cortade

© Fanny Cortade


“Dans ma bande, tous les abandonnés d'la vie sont acceptés. De ta différence, j’en fais d’l’effort pour tous.”

Les Bouges, Jean Husson


Fresque théâtrale épique et festive, “Les Bouges” se dévore comme un bon roman de Dumas. Une atmosphère romanesque et révolutionnaire dans les bas-fonds parisiens à l’orée de la Grande Guerre…

Le quartier est quadrillé, les gendarmes veillent et inspectent chaque spectateur qui tente de rentrer dans le périmètre surveillé des bas-quartiers. L’immersion est appréciée et nous nous installons sagement avant de voir débouler une vraie pagaille urbaine qu’on ne sait inquiète ou exaltée. Des titis parisiens aux casquettes gavroche et petits foulards rouges tentent d’échapper aux matraques des policiers à chaque coin de la salle créant un tumulte presque jouissif. C’est qu’on sent chez cette jeunesse laissée-pour-compte l’envie d’en découdre avec panache…

Tels les Apaches parisiens du conte de Jean Husson, ces jeunes bouillonnent littéralement de rêves. Cette capacité à faire vivre intensément une histoire sur les planches, avec une troupe d’une dizaine de comédiens frétillants, et sans grand besoin de décors imposants, rappelle le théâtre de tréteaux d’antan et la magie des saltimbanques.
— Apartés

Un monde bouillonnant de rage et de rêves



Dans la bande des Apaches parisiens, la misère est toujours au coin de la rue mais l’union fait la force. Autour du chef et chasseur de rêves, un prénommé Jérôme Bastel, ces abandonnés de la vie font fi de l’ingrat destin en se serrant les coudes - mais gare aux trahisons. Leur plan ? Dévaliser les riches entreprises Vanu, la plus grosse fortune du Tout-Paris. Comique de situation : la dame Vanu s’est égarée dans les bas-fonds, accompagnée de son fidèle "Cheval”, architecte en chef des entreprises Vanu. La prise est bonne pour les Apaches mais y a-t-il une justice en ce monde cruel ? L’auteur Jean Husson signe là la partie 2 de sa saga « La Belle Époque »*, un récit romanesque, remplie d’humanité et à la portée sociale qui rappelle en cela Les Misérables de Victor Hugo. Dans une atmosphère générale plutôt hilarante, certains passages sont poignants et édifiants : « La société, c’est nous aussi ! On vit ! On rit ! On pleure ! On meurt ! C’est ça l’citoyen ! L’citoyen c’est d’vivre ensemble ! Qu’on est pas citoyen quand on prend pas soin d’son prochain ! C’est nous, la société d’demain ! » On aime cette écriture argotique tendre et passionnée, qui a soif d’idéal et de poésie. Extrait coup de cœur : « Là, c’est comme la foudre qui tombe sur l’cœur. J’viens d’ressentir c’truc qu’les mères racontent à leurs mouflons pour qu’y s’endorment avec l’espoir. »

* Partie 1, “Loup Parisien”

© Fanny Cortade

© Fanny Cortade

porté par une troupe soudée et absolument passionnée

Présentée en final de la journée de marathon théâtral des Estivales d’Art & Cendres, la pièce “Les Bouges” illustre à merveille toute la passion déployée par ce collectif de jeunes comédiens-auteurs-metteurs en scène, issus du Cours Florent, pour créer et partager leur art du théâtre. Tels les Apaches parisiens du conte de Jean Husson, ils bouillonnent littéralement de rêves. Cette capacité à faire vivre intensément une histoire sur les planches, avec une troupe d’une dizaine de comédiens frétillants, et sans grand besoin de décors imposants, rappelle le théâtre de tréteaux d’antan et la magie des saltimbanques. Le rythme de la mise en scène (signée Ronan Bacikova, directeur des Estivales) est effréné, occasionnant des chassés-croisés virevoltants entre les protagonistes tous parfaitement costumés (Annie Faure), des séquences chorégraphiées (Caroline Jacquemond) à la manière d’une comédie musicale et une fièvre de jeu qui fait plaisir à voir. C’est tout simplement beau de ressentir cet amour fou du théâtre et des histoires. La passion du jeu se lit sur tous les visages des dix-sept interprètes : Anthony Ponzio, au centre de cet épisode en Roi des fortif’ Jérôme Bastel, impressionne par son intensité et son phrasé procurant l’émotion des grands héros populaires; Rebecca Tetens est extrêmement drôle et fine en bourgeoise élégante à l’âme d’aventurière, suivie en cela par Romain Tarnaud, son mari de jeu, hilarant de décalage et de premier degré et par son admirateur contrarié, génial Antoine Gérard. Âme romantique de la bande des bas-fonds, Le Pilier amoureux de la belle dame, est joué par Lorenzo Soumer (fabuleux dans le Platonov de La Compagnie Les Évadés) à la manière d’un Baptiste Deburau dans Les Enfants du paradis. Enfin, mention spéciale à Antoine Leveau qui, en Mère Bigot, peu commode tenancière d’un mastroquet des bas-quartiers, provoque des fous rires à n’en plus finir et ponctue chaque scène d’un coup de poêle à frire. Cette bande d’Apaches des planches, on l’espère, poursuivra sa belle histoire. Rendez-vous pour l’épisode 3 de la saga…

Claire Bonnot

"Les Bouges" de Jean Husson par Ronan Bacikova

Durée : 2h environ