“Quand on s’engueulait toi et moi, ça m’a démangé plus d’une fois mais… je ne voulais pas t’envoyer cette vérité comme une injure, alors, j’ai attendu. Il me semble qu’il est temps maintenant.”
Sur un air de Tango, Isabelle de Toledo
Une pièce très juste et très belle sur les liens familiaux, les rendez-vous magiques et secondes chances qu’offre la vie. Un très doux moment de théâtre.
Dans la pénombre du théâtre, un décor de bar se dessine. Atmosphère paisible, on attend celui qui viendra servir des verres au comptoir et l’on rêve déjà d’engueulades magnifiques ou de tricheries phénoménales aux cartes… Car un petit air du Bar de la Marine flotte dans ce joli bar où un père et un fils vont tenter de communiquer sans s’admonester…
L’amour pudique et poignant entre un père et son fils
Un grand garçon au pull marin range ses caisses de bouteilles de vin, sur fond de temps de chien. On est en Bretagne. Il fait nuit. Et le temps ne semble pas au beau fixe pour lui. Un vieux monsieur jovial entre, d’un air de propriétaire. Il cherche le barman. Ces deux-là n’ont, semble-t-il, rien en commun. Le jeune est « raisonnable », le vieux est enthousiaste. Un fils et son père. Deux hommes qui ne se parlent qu’en images. Le cœur ou la rancœur ne se dévoile qu’entre les lignes. C’est un tête-à-tête amené par la vie : Pierre, le fils, finit par dévoiler que sa femme est partie. Max, le père, a envie de fantaisies avant la maison de retraite. Dans ce temps suspendu, les deux hommes se retrouvent plusieurs soirs de suite, autour d’un verre, apprennent à se parler, à mieux se connaître, à s’aimer et à se le dire. C’est que Max sait y faire : il est fantasque, charmant, attendrissant. Il voit la vie en rose. Il danse la vie, comme au temps d’avec sa Lili. Ça le déride un peu son Pierre, père de deux enfants, trop sérieux, si travailleur qu’il en a perdu sa femme. S’installe alors entre eux une merveilleuse relation - qui n’avait jamais vraiment pu éclore -, avec cette pudeur masculine qui tente de dire les liens, les émotions, l’amour, tout ça… C’est dans ce bar, un soir de tempête, qu’elle prendra naissance, portée par un air de Tango, celui du souvenir d’un amour éternel, celui de deux amoureux qui élevèrent un fils. Les deux comédiens sont parfaits : avec son personnage de Max, le père, Michel Papineschi nous fait penser à la troupe de Pagnol. Il a ce je ne sais quoi d’attendrissant dans cette façon de prendre de la place et de se faire tout petit, aussi. Il joue superbement cette rage de vivre et il nous met facilement la larme à l’œil. Damien Boisseau est très juste dans son rôle du fils, du père et du mari toujours amoureux. Une belle simplicité s’installe entre ces deux comédiens dirigés dans une mise en scène comme rythmée sur des pas de tango… où le temps s’écoule lentement, l’émotion grandissant, avant que le tourbillon de la vie ne passe par là et ouvre un tout nouveau chapitre. Celui où entrera, peut-être, à nouveau, la femme de Pierre, ravissante Chloe Froget, toute en émotions. Max a été là au bon moment avant de tirer sa révérence…
Une pièce tout simplement belle
À la manière de ce tango qui rattache Max à la vie et qui redonne vie, l’amour tâtonne, virevolte, fait des pas en avant, trois pas en arrière, se cabre et enlace. C’est la vie dans toute sa splendeur qui est si délicatement retranscrite ici, avec ses errements, ses empêchements, ses non-dits, ses secrets et ses beautés. Le texte d’Isabelle De Toledo est tout simplement beau et juste. Il sonne et se voit livré sur scène comme une pièce de Pagnol.
Claire Bonnot
“Sur un air de Tango” de Isabelle De Toledo, mis en scène par Pascal Faber et Bénédicte Bailby
