"Britannicus" de Racine par Stéphane Braunschweig à la Comédie-Française : intensité tragique minimaliste

À voir : si vous avez le cœur bien accroché

À la Comédie-Française
Jusqu'au 23 juillet


"Heureux ou malheureux, il suffit qu'on me craigne"

Néron dans "Britannicus", Racine


Dans une mise en scène minimaliste et moderne, Stéphane Braunschweig - tout nouveau directeur du Théâtre de l'Odéon - porte aux nues l'alexandrin racinien mais statufie quelque peu les grands personnages tragédiens, en contournant passions et déchirements. Les acteurs du Français leur redonnent toute leur vitalité.

La Comédie-Française annonce toujours la couleur en laissant le rideau levé pour dévoiler les éléments de décor. En ce moment, une porte blanche, à la hauteur démesurée, trône salle Richelieu, dans un couloir tapissé couleur rouge sang. L’effet est saisissant. Surtout lorsqu’après un noir total, apparaît Dominique Blanc, toute petite dans ce décor mais déjà magistrale Agrippine qui pleure à la porte de Néron, son fils et Empereur de Rome.

Une mise en scène qui pourrait laisser de marbre...

Place nette est faite aux alexandrins raciniens. Car le décor s'articule simplement autour de cette grande porte immaculée qui fait face au public - et se dérobe souvent pour ouvrir sur une salle de réunion évocatrice des hauts lieux de pouvoir actuels, de plusieurs portes en fond de scène et de quelques chaises, disposées entre le rouge sang du sol et le bleu clair au mur. Les vers raciniens résonnent haut et fort dans cet ensemble glacial, aux lumières dérangeantes. Mais l'action semble contrainte car suspendue aux mots - si beaux et si cruels - du grand dramaturge du XVIIème siècle. Ni cris ni déchirements accompagnent le texte ou le jeu des acteurs : la puissance évocatrice des répliques semble seule maîtresse de la tension politicienne et familiale.

Cette intensité voulue minimaliste, presque trop philosophique, semble parer d'un voile antique les personnalités vives de cette tragédie célèbre. Mais les acteurs du Français parviennent à s'en détacher et à créer leurs propres tourments intérieurs et destins raciniens. 

...heureusement ravivée par le jeu puissant des comédiens du Français

À la manière de pions ballotés sur un échiquier politique instable, chacun des acteurs apporte sa propre intensité à la tragédie poursuivant ainsi le drame racinien à la lettre : celui d'hommes malmenés en eux-mêmes et non par une force extérieure. Ainsi la mise en scène se pimente de tous les caractères, formidablement interprétés par la troupe du Français.

Dominique Blanc, vêtue d'un costume d'homme noir et d'une chemise blanche, installe d'emblée une présence indétrônable et calme, celle d'Agrippine, la mère-stratège (et criminelle) du maître de Rome, Néron, pour son premier rôle en tant que jeune pensionnaire de la Comédie-Française (depuis le 19 mars 2016). Sa voix est impressionnante de puissance et de clarté et sert magnifiquement l'écriture et l'intrigue racinienne : « L'impatient Néron cesse de se contraindre/Las de se faire aimer, il veut se faire craindre ». Elle ne prendra que plus de consistance et de complexité, entre attendrissement et noirceur, tout au long de la pièce et dans ses confrontations directes avec le fils parjure (les facéties de Dominique Blanc font rire le public lors de certaines scènes de « victoire » face au conseiller politique de son fils, Burrhus). Alors assigné à résidence par son fils, Agrippine se voit enfin confronté à lui. La scène est intense, grâce au jeu subtil - dans les regards et le phrasé - de Dominique Blanc et Laurent Stocker qui se font face de part et d'autre du plateau. Façon petit garçon pris en faute, celui-ci se recroqueville alors sur sa chaise avec un air penaud - et faux - proclamant à sa mère : « Je me souviens toujours que je vous dois l’Empire ». Celle-ci, imperturbable et debout, rétorque : « Vous êtes un ingrat, vous le fûtes toujours ». Puis lui enfilant avec délicatesse (et stratégie) sa veste, lui arrangeant les cheveux de manière quasi-religieuse et aimante, le tyran se fait soudainement doucereux « Que voulez-vous qu’on fasse ? ». Cette scène de basculement, effectuée avec une intensité clinique, est magistrale.

Laurent Stocker (Néron) s'en donne à cœur joie dans ce rôle de « méchant » auquel il ne nous a pas habitué : c'est peut-être lui qui parvient le mieux à donner toute la teneur moderne du texte séculaire s'inspirant sans doute des hommes politiques actuels. Son entrée en scène est marquante : il déboule, dans un élan digne des plus grands hommes pressés, dans la salle du pouvoir, et se confie tout de go à Narcisse, « l'agent-double ». Son phrasé moderne associé à ses tourments de dirigeant et d'homme aimant rappelle des histoires d'alcôves d'hommes politiques... « Narcisse, c’en est fait, Néron est amoureux » C'est la belle Junie qu'il a enlevé, et promise à son demi-frère, Britannicus par sa propre mère, Agrippine, qui lui fait palpiter le cœur.

En trench beige flou et nuisette noire, cheveux détachés presque ébouriffés, pieds nus, la belle Georgia Scalliet est Junie, qui avance à pas menus de peur de se faire voir dans le palais de l'Empereur où elle est séquestrée, imposant une présence toute en douceur et en pudeur mais non sans force et en nuances.

Britannicus, lui, est peut-être le plus passionné de toute cette mise en scène, typique héros romantique tourmenté en la personne de Stéphane Varupenne. Sa démarche fougueuse et combative se démarque dès son entrée, par la salle ( touche bienvenue qui réveille la mise en scène ) car il est suivi par un oiseau étrange, le long et mince Narcisse (formidable Benjamin Lavernhe) qui avance, lui, toujours à pas mesurés, dans l'ombre des pas de ses maîtres, stratégique et calculateur.

Benjamin Lavernhe est la révélation de cette pièce, dans un rôle à contre-emploi. Son impressionnante silhouette, longue, cachée dans un trench, impose une présence inquiétante, qui se faufile dans tous les recoins. Et c'est dans une scène très forte qu'elle réapparaîtra, telle la mauvaise conscience de Néron, maigres bras déployés sur la table du pouvoir, susurrant d'une voix d'outre-tombe, les mots assassins : « D'un empoisonnement, vous craignez la noirceur ? Faites périr le frère, abandonnez la sœur. »

Le conseiller Burrhus (superbement interprété par Hervé Pierre, entre le dévouement aveugle et la bonne conscience finale) ira implorer à genoux son maître de ne pas se livrer au crime de Britannicus - « J’embrasse mon rival mais c’est pour l’étouffer » - mais Narcisse sera plus fort. 

Lorsque la porte s'ouvre en fond de scène dévoilant le corps de Britannicus, poitrail dénudé et sans vie, étendu empoisonné sur un divan, c'en est fait de Néron, de Rome et de l'Empire. On aimerait presque un « épisode 2 » pour suivre les tourments de l'implacable Néron, énigmatique Laurent Stocker. Peut-être faut-il alors regarder cette mise en scène au scalpel de Stéphane Braunschweig comme une série politique contemporaine.

Claire BONNOT

"Britannicus" de Racine par Stéphane Braunschweig à La Comédie-Française

Jusqu'au 23 juillet 2016
à La Comédie-Française, Salle Richelieu
12, Place Colette, 75001 Paris

Du lundi au samedi à 20h30 et le dimanche à 14h.
Durée : 2h sans entracte