Il est né un 25 décembre. Et savait déjà, à l’âge de cinq ans, que, plus tard, il raconterait des histoires. Xavier Gallais, en plus d’être un comédien surdoué - deux nominations et un Molière (en 2004, à 28 ans) - et qui peut tout jouer, était bel et bien promis à une vocation : celle de « réveiller le spectateur » dans un monde qui l’endort. Apartés est fier d’ouvrir son cycle d'interviews avec cet immense comédien qui, il y a quinze ans, marqua pour toujours l'esprit de la future passionnée de théâtre que j'allais devenir, en interprétant magnifiquement « Cyrano de Bergerac ».
Actuellement en tournée pour « Splendid’s », une mise en scène d’Arthur Nauzyciel (Directeur du CDN Orléans) à partir d’un texte du sulfureux écrivain français Jean Genet, Xavier Gallais continue de semer son spectateur averti et de l’emmener, avec lui, vers de nouveaux horizons artistiques et éthiques. Apartés l’a rencontré au Théâtre de la Colline, quelques heures avant la représentation, décontracté, disponible et passionné. L’interviewer, c’est avoir le privilège de vivre « la scène » en tête-à-tête. Ses mains, ses yeux, sa voix et ses mots ne font qu’un et révèlent sans cesse le grand comédien. Entretien.
Encore une fois, vous jouez le personnage insaisissable de la pièce. Comment avez-vous abordé ce personnage de traître (il joue "Le Policier" parmi les sept gangsters) que vous incarnez dans « Splendid’s » ?
Je n’ai pas eu envie de le définir, aussi bien pour moi-même que pour le spectateur, pour éviter de fermer des sens car je ne crois pas que c’est ce que Genet (Jean) avait envie de faire. Comme mon personnage trahit doublement (ses collègues de la police et les gangsters qu’il rallie pendant la prise d’otage), ça revient finalement au point de départ. Et donc, mon travail était bien différent de d’habitude car je travaille toujours sur une progression, une évolution du personnage pour lequel une situation donnée va provoquer un changement dans son être profond. Ici, c’est linéaire car à force de trahir tout le temps, il ne trahit jamais vraiment. Je me suis dit que c’était le type fiable de l’affaire. C’est celui qui est beaucoup plus droit que tout le monde, dans le corps mais aussi dans le rapport à la langue.
Et on ne sait toujours pas, à la fin, qui il est vraiment… Est-ce qu’il tue les gangsters ?
Non, on ne sait pas si le Policier les tuent à la fin. Mais on peut trouver une clé de lecture au travers de la vie et l'œuvre de Jean Genet : le Policier est le seul à ne pas avoir de nom et, comme Jean Genet, fantasme, de l'extérieur, sur des voyous, des prisonniers. Il aurait rêvé être comme eux et s’en rapprocher. Mais finalement, avec cette pièce, il va clore une grande partie de son œuvre basée sur ses propres fantasmes : l’homosexualité, la lâcheté et la trahison (sa sainte trinité). Il n'en parlera plus et tentera de se suicider juste après. Ce n'est qu'ensuite qu'il passera à une autre œuvre. On se dit alors que si le policier c'est Genet, il finit par les tuer comme il le fait avec son œuvre. C’est assez métaphysique quand même.
“Je me suis dit que c’était le type fiable de l’affaire”
Vous êtes le seul acteur français dans cette pièce jouée en anglais par des acteurs américains. Était-ce une manière de bien signifier ce rôle d’intrus de la part d’Arthur Nauzyciel ?
Arthur (Nauzyciel) savait aussi mon désir de jouer avec des américains et de jouer en anglais alors que ce n’est pas ma langue maternelle. J’ai donc travaillé pour. Je suis fan du cinéma américain et du jeu des anglo-saxons en général. Comme le personnage du policier vient de l’autre côté, dans la pièce, et qu'il est fasciné par l’autre camp, celui des gangsters, ça pouvait tout à fait être joué par un français qui rêverait d’être un acteur américain. On sent d’entrée de jeu la notion de « je viens d’un autre monde et je veux être comme vous et finalement je n’y arriverai jamais »; ça ressort naturellement par le choix du casting. D’ailleurs, il ne voulait pas que j’ai trop d’accent américain. C’était intéressant à raconter pour moi cette intrusion dans un fantasme américain. Ce fantasme que je vis dans la vraie vie, comme beaucoup d'autres acteurs.
Le sous-titrage en anglais rend difficile l'émotion spontanée mais la pièce entraîne après coup, beaucoup de questionnements. Qu'est-ce que doit susciter le théâtre : le premier temps de l'émotion ou le deuxième temps de l'analyse ?
J’imagine que le grand théâtre aurait une combinaison des deux. Au départ, faire du moment de la représentation un des rares moments de la vie où on peut être vraiment au présent. Au présent, dans son ressenti, mais aussi au présent avec les autres, qu’on soit pris ici et maintenant entièrement, comme des aveugles complètement happés. Et puis, qu’il y ait suffisamment de mystère dans l’œuvre, une profondeur, pour que celle-ci ne nous lâche plus et qu’elle continue à progresser en nous, spectateurs, après que l’œuvre soit passée au travers des artistes. L’œuvre est censée continuer chez le spectateur qui devient ainsi le dernier artiste. Car, au bout d’un moment, ce spectateur va avoir besoin de transmettre son ressenti à son enfant et ainsi de suite. On conjure la mort avec une pièce de théâtre, en quelque sorte.
“L’œuvre est censée continuer à cheminer avec le spectateur qui devient ainsi le dernier artiste”
Justement, du côté de l'acteur que vous êtes, comment se fait ce rapport et cette transmission ?
Vous me parliez de « Cyrano » (Mise en scène de Jacques Weber, en 2001, au Théâtre National de Nice) comme de la pièce qui avait entraîné votre désir de théâtre. Figurez-vous que la semaine dernière, nous étions avec l’un de mes élèves, en train de répéter une scène sur le plateau du Conservatoire National. Il m'a alors livré que le premier spectacle qu’il avait vu enfant – il est niçois – était « Cyrano », et qu'à la sortie du spectacle, il avait dit à sa maman « Je veux faire du théâtre » . Il m’a alors raconté : « Tu m’as signé un papier qui est dans ma chambre où tu as écris "À bientôt sur les planches"». Et maintenant je suis son professeur. C'est fou ! C’est magnifique quand on arrive à ça. Et aussi quand on arrive à donner envie aux gens de lire les pièces, les auteurs. Si on donne envie de tourner autour, de s’exprimer ou même d’être spectateur, c’est déjà énorme. C’est pour ça qu’on le fait.
On peut voir un grand écart dans tous vos rôles – du romantique lunaire (Cyrano chez Edmond Rostand, Treplev chez Tchekhov, Le Prince de Hombourg chez Heinrich Von Kleist) au marginal magnifique (Roberto Zucco chez Koltès, le clochard dans « Adultères » de Woody Allen, « Zoo Story» de Edward Albee). Comment choisissez-vous vos rôles ?
C’est beaucoup en fonction de la vie, et des rencontres avec les metteurs en scène et mes partenaires. Je continue avec ceux avec qui ça se passe bien (il a enchaîné les collaborations avec Jacques Weber, Benoît Lavigne, Arthur Nauzyciel ou Gilbert Désveaux) et j'essaie aussi de rencontrer de nouvelles esthétiques, de nouvelles écritures poétiques pour me nourrir. On vient de me proposer un super rôle romantique, j’ai refusé, je crois que je n’ai plus trop l’âge pour raconter ça. Et puis c’est parfois en terme de forme, quel est l’endroit de jeu que ça va m’obliger à aller chercher ? Soit j’ai envie d’aller dans le lyrisme, soit j’ai envie d’être sur quelque chose de beaucoup plus concret. Ou dès que j'ai la chance de jouer dans des grands espaces - comme par exemple avec « Le Prince de Hombourg » joué en 2014 dans la Cour d'Honneur du Palais des Papes pour le Festival d'Avignon - j'ai envie de passer à un tout petit espace pour expérimenter un jeu différent, où je dois moins forcer le trait - comme « FAIM » jouée au Théâtre du Lucernaire en septembre 2015. Et puis souvent, ce sont les auteurs plus que les personnages. La question que je me pose au moment de la rencontre, c'est comment l’auteur va me permettre de grandir à un moment où j’en ai besoin ? Et si ça se trouve, je vais être surpris par le désir de quelqu’un, qui me voit différemment. Pour « Roberto Zucco » (2004, mise en scène de Philippe Calvario), jamais je n'aurai imaginé pouvoir jouer un tel rôle un jour : sexy, noir... Et le désir du metteur en scène de me voir dans un rôle comme ça était tellement fort, que j'ai fais confiance. J’ai travaillé et j’ai découvert qu’il y avait des choses nouvelles que je pourrais peut-être expérimenter, porter pour des gens. Et ça a été une belle surprise. C'est bien d’être surpris par ce que les gens projettent sur vous. En tant qu’acteur, c’est ce qui est difficile : on est souvent dépendant du regard des autres. Et comment faire pour que le regard des autres ne soit pas toujours le même ? Alors c’est vrai que j’ai de la chance - je la provoque aussi - je fais plein de trucs très différents. Je suis souvent le rebelle.
Oui, vous êtes, dans tous vos rôles, un être épris de liberté, un poète en quelque sorte...
C’est vrai que la liberté et le souci de liberté m’importent. Avec Arthur (Nauzyciel), je joue souvent le poète. Je porte souvent la voix et la voie du poète. C’est plutôt pas mal (sourire) car le poète c’est celui qui, a priori, est visionnaire, qui éclaire le monde, qui a une vision singulière et qui la porte fortement avec nécessité même si, parfois, il n'est pas entendu parce qu’il est en avance sur le monde. C'est un être qui est prêt à aller au bout, quitte à se sacrifier et à mourir. Ce personnage est toujours prêt à porter le sacrifice dans sa chair et dans son âme pour guider les gens. Et ça, c’est aussi la force de l’artiste en général. Je suis plutôt content quand on me propose ces rôles-là. Mais ce sont des rôles éprouvants bien évidemment car ils sont radicaux, absolus. J’ai souvent eu l’impression que j’avais eu à jouer ces deux grands pans de personnages : soit les Jésus-Christ, soit des Rimbaud. Mais parfois j’ai d’autres surprises.
“On vient de me proposer un super rôle romantique, j’ai refusé. Je crois que je n’ai plus trop l’âge pour raconter ça”
Comment vous-est venue cette vocation, cette passion quasi-viscérale ?
Oui, c'est une vocation, depuis tout petit. C’est venu d’un spectacle que mes parents ont préparé pour mes cinq ans. J’avais vu toute la préparation du théâtre, des marionnettes, des décors – mon père est artiste-peintre (Daniel Gallais) – j’ai vu les choses se préparer de manière très très artisanale pendant une quinzaine de jours. Je ne comprenais pas trop ce que ça allait donner jusqu’au spectacle. Et je n’ai eu alors qu’une envie : être de l’autre côté pour raconter moi-même les histoires aux spectateurs. Et à partir de là, j’ai commencé à écrire des histoires avec mon frère, je faisais des spectacles devant les invités. Puis j’ai fait très vite des stages d’été artistiques grâce à mes parents, et, dès l’âge de onze ans, j’ai pris mes premiers cours, déjà à visée professionnelle. Après, mon désir de jouer s'est mêlé à l’amour de soi et à un peu d'exhibitionnisme adolescent pour faire sortir ce qu'il y a à l'intérieur. Ce n'est qu'à partir de mes quinze ans que j'ai découvert les grands auteurs et donc l’amour de l’écriture. J'ai alors pu comprendre comment les choses s’écrivent, comment les êtres peuvent écrire différemment, dans leur rapport à l’écriture, à la langue, et puis aussi dans leur vision du monde. J’ai essayé, au travers de mon jeu, de servir au mieux ces différences-là. L'objectif était de travailler sur comment, moi, j’allais être le meilleur outil pour servir la singularité des auteurs et des personnages. Enfin, et petit à petit, est venu en moi l’amour de transformer le spectateur, de créer le lien direct entre l’auteur et le spectateur pour éclairer ce-dernier et activer son imaginaire. Ce qui maintenant est important pour moi - et ce que permet le théâtre - c’est de réveiller dans un monde où tout est quasiment fait pour nous endormir.
On sait quand on vient vous voir jouer qu’on ne va pas être tranquillement assis dans son siège…
Je détesterais ça !
On vous voit beaucoup sur les planches depuis des années mais pas que : vous vous diversifiez en télé (entres autres « Ruy Blas » de Jacques Weber, la série « Sur le fil » pour France 2) et au cinéma. Vous avez tourné pour Jean Becker (« Deux jours à tuer » en 2007), pour Jean-Michel Ribes (« Musée Haut, Musée Bas » en 2008) et avec Mélanie Laurent dans « Requiem pour une tueuse », en 2010. À quand le grand rôle ?
J’aime beaucoup le cinéma mais on ne m'y voit pas assez. C’est un peu ma faute car pendant des années, ça ne m’a pas du tout intéressé. Adolescent et jeune adulte, je ne jurais que par le théâtre. Depuis quelques années, je vois que ça peut m’intéresser en termes de recherches de jeu mais j'ai peu de propositions. Peut-être que la singularité de mon travail ne trouve pas complètement d’écho(s), pour l’instant. Pourtant, il y a des personnalités fortes au cinéma. Mais ça va arriver. Il faudrait que des producteurs, distributeurs ou réalisateurs, aient envie de moi et avant tout d’histoires qui donnent envie aux spectateurs de se réveiller. On a l’impression qu’ils veulent endormir tout le monde ; il y a trop de « Monsieur et Madame Tout le monde ».
Vous avez été nommé il y à trois ans professeur d’Interprétation au Conservatoire Supérieur National d’Art Dramatique (CSNAD) par Daniel Mesguich, ancien directeur, et qui a été lui-même votre professeur. Cela-vous donne-t-il envie de vous lancer pour de bon dans la mise en scène ?
Le fait d’être professeur depuis trois ans m’oblige à travailler avec les acteurs, à les diriger, à essayer de les aider à s’accomplir, à développer leur personnalité artistique et à leur donner les outils pour parvenir concrètement à tout ça. Et oui, ça me donne très envie de faire de la mise en scène, de porter les autres comédiens, de les emmener. Mais on est en France, les gens n’aiment pas trop les mélanges des genres. J’attends de voir, je réfléchis. Mais c’est vrai que maintenant, je sens que mon engagement est plus fort que simplement être sur le plateau. Je prends d’autres responsabilités.
Quels sont vos projets à venir ?
Je repars un peu en tournée avec « Splendid’s » (en Suisse, au Théâtre de Vidy-Lausanne du 19 au 21 avril et en France, au Théâtre de Lorient, les 27 et 28 avril 2016) et il va y avoir la sortie du Conservatoire de mes élèves de 3ème année, fin juin. Ils sont vingt-sept. J'ai toute la promotion, ça n'arrive jamais ! On travaille sur les États-Unis, on va faire un énorme spectacle. Il faut que les gens viennent, c’est gratuit. Il faut venir voir les nouveaux jeunes qui vont faire le théâtre de demain, les nouveaux talents. Avant, à l’époque de Jacques Weber et consorts, il y avait un concours de sortie, les gens étaient très excités, il y avait la queue pour entrer jusqu’aux Grands Boulevards. Et puis d'autres projets sont en cours... mais c'est aussi bien parfois d’avoir un peu de temps pour ne rien faire, pour se remettre à rêver.
Est-ce que vous pensez que les jeunes sont moins attirés par le théâtre aujourd’hui ?
Je me rends compte que chez les jeunes qui rentrent au Conservatoire ou ceux qui passent le concours, il y a deux types de rapport au théâtre. Il y en a qui ont envie de faire du théâtre comme on va à la Star Ac’, pour être connu, mais il y a tout un foyer de jeunes, remplis du désir de se faire entendre et de changer le monde par le théâtre. Et ils le sont plus qu’à mon époque. Comme aujourd'hui, c’est un peu plus facile de passer du théâtre au cinéma, ils s'engagent d'autant plus dans le théâtre. Et même dans un théâtre de proximité. Dans ma promotion - les sortants - je vois des gens qui ont une éthique très forte, qui sont prêts à aller en province, à la campagne, là où les gens ont besoin. Ils ont envie de transmettre leur vision du monde, et ils sont persuadés que le théâtre est un moyen efficace, profond et sincère pour essayer d’aller à la rencontre des gens. En tout cas, l’idée de « star » n’est pas du tout là. Et je suis très content de ce tournant. Ils sont très attirés par la poésie, par la beauté. On a des résistants qui arrivent. C’est excitant !
“On a des résistants qui arrivent dans la jeune génération de comédiens”
BIO EXPRESS
25 décembre 1976 Naissance
1999 Obtient le concours d'entrée à la classe libre du Cours Florent (Major)
2001 Jacques Weber le choisit dans le rôle-titre pour sa mise en scène de « Cyrano de Bergerac »
2004 Molière de la révélation théâtrale masculine pour « Roberto Zucco » de Bernard-Marie Koltès par Philippe Calvario
2009 Triomphe auprès de la critique pour son rôle de Silva Vacarro dans « Baby-Doll » de Tenessee Williams par Benoît Lavigne avec Mélanie Thierry
2012 Première Cour d'Honneur au Festival d'Avignon pour « La Mouette » de Anton Tcheckhov par Arthur Nauzyciel
2013 Nommé Professeur d'Interprétation au CNSAD de Paris
2014 Seconde Cour d'Honneur au Festival d'Avignon pour « Le Prince de Hombourg » (Rôle-titre, 60 ans après Gérard Philipe) de Heinrich Von Kleist par Giorgio Barberio Corsetti
2015 Triomphe pour « FAIM » de Knut Hansum par Benoît Lavigne au Théâtre du Lucernaire
2015-2016 Reprise et tournée de « Splendid's » de Jean Genet créée par Arthur Nauzyciel au CDN Orléans
Un grand merci à Xavier Gallais et au Théâtre de la Colline