"Phèdre(s)" par Krzysztof Warlikowski avec Isabelle Huppert : l'Amour hurlant, brûlant et dévorant

À voir : si vous avez le cœur bien accroché

Jusqu'au 13 mai
à l'Odéon - Théâtre de l'Europe


"Impossible d'éteindre ça. Impossible de l'étouffer. Impossible. Me réveille avec, ça me brûle. Me dis que je vais me fendre de bas en haut tellement je le désire."

L'amour de Phèdre, Sarah Kane


 Krzysztof Warlikowski, le metteur en scène polonais qui aime scandaliser, dévoile sur la scène de l'Odéon, sa créature mythologique et mythique du désir : Phèdre avec un s. 

Impossible de tout comprendre dans ce spectacle très exigeant jouant sur la pluralité de la figure de Phèdre et de la langue qui la raconte. Il suffit alors, non pas de s'effrayer, mais de se laisser porter par son ressenti propre pour entrevoir, dans ces multiples interprétations, la Phèdre qui nous parle.

Trois auteurs pour tenter de comprendre la légende

Incandescente, brûlante et dévorante elle sera, sous la plume du dramaturge Wajdi Mouawad - tout juste nommé directeur du Théâtre de la Colline - qui puise dans Euripide et Sénèque à la fois. Mais nous fait tourner la tête de tant de schizophrénie. Phèdre est aussi Aphrodite, blondasse vamp' qui se repaît de sa trash attitude - « Tout cela est sorti de ma chatte » - et du mauvais sort qu'elle a jeté à l'humanité : Phèdre devra endurer une passion coupable pour son beau-fils Hyppolite puisqu'il l'a rejeté, elle, la déesse de l'amour. C'est alors que l'aveu intolérable et honteux se fait cri - « J'aiiiiiiiiiiime » s'époumone Isabelle Huppert - vomi et sang, pour enfin, sous les grandes lettres « PURETÉ », se voir honoré par un Hyppolite couché, comme dans un rêve éveillé, auprès de sa belle-mère (sublime Gaël Kalimindi). La scène d'amour orgasmique qui s'ensuit est magnifique (et projetée en grand écran !). Puis étranglement par suicide de l'héroïne tragique, au pommeau de cette douche géante, dans ce décor glacial. Clap de fin du premier round. Éprouvant.

Le deuxième texte semble plus calme, mais non moins trash. C'est la langue de Sarah Kane, la dramaturge anglaise et punk, suicidée à 28 ans. Hyppolite se masturbe devant sa télévision (l'excellent Andrzej Chyra, dégoutant comme il faut sur scène), absent face au désir incontrôlable de Phèdre, non plus par pureté, mais par solitude et ennui. Il s'offrira alors à tout (de la fellation à l'éventration, sort final pour avoir « violé » sa mère).

Le troisième texte est tout aussi insondable mais drôle cette fois : c'est l'héroïne du prix Nobel de littérature J.M. Cotzee, Élizabeth Costello, qui s'interroge sur les amours entre les mortels et les divinités. Meilleur moment : quand l'intello se transforme en Phèdre racinienne et là l'émotion prend. Vraiment. Comme lors de la première scène, où le chant d'Oum Kalthoum s'élève sur la scène, interprété par Norah Krief, accompagnée des sons grinçants d'une guitare électrique.

Une seule actrice suffit pour habiter la scène

Si la pièce est un vrai casse-tête et demande de se replonger dans les textes, l'interprétation d'Isabelle Huppert est totalement jouissive, époustouflante et libératrice. On sent à quel point ce montage de textes, bien que peu compréhensible, permet à une telle actrice de s'adonner à tous les excès. Elle est magistrale en vamp'-putain semi Aphrodite-semi Phèdre, perruque blonde délavée, elle est frémissante en Phèdre dévorée de l'intérieur par cette passion qu'elle tente de vomir (l'aveu), elle est belle, tout simplement, alors amoureuse sur son lit avec Hyppolite, elle est pitoyable et frustrée chez Sarah Kane, fofolle et pince-sans-rire chez Costello. Et son tout dernier mot, incroyable : « Je vous remercie de votre attention ». Tout ça pour ça. Quel culot ! Qui sonne parfaitement bien chez Isabelle Huppert qui réaffirme ici son jeu singulier et toujours possédé. 

Claire BONNOT

"Phèdre(s)" de Wajdi Mouawad, Sarah Kane, J.M.Cotzee par Krzysztof Warlikowski

Jouée jusqu'au 13 mai à l'Odéon-Théâtre de l'Europe,
Place de l'Odéon, 75006 Paris

Durée : 3h10 avec quarante minutes d'entracte