La directrice de La Commune, Marie-José Malis, excelle à communiquer son théâtre de la "présence" au travers de sa mise en scène de la dernière oeuvre - existentielle - de Luigi Pirandello avant sa mort (1934) : "On ne sait comment"
Le décor est des plus sobres : un rideau rouge de théâtre, deux chaises, une table et des verres de vin. La lumière reste sur la salle, aux sièges extrêmement confortables - un élément non négligeable pour un spectacle qui dure trois heures et sans entracte. Puis une voix se fait entendre. Sursaut : l'acteur est dans la salle. Puis dévale les quelques marches pour entrer dans le décor et entamer son histoire. En quelques minutes, on comprend que l'on a affaire à un théâtre « autre ».
Un théâtre de la "présence" qui sert au mieux le texte
3 heures sans entracte, en-dehors de Paris, pour un texte peu connu du grand public. Cela pourrait décourager. Mais après avoir testé, on se doit de vous y encourager. Le texte, déjà, est fabuleux. Dès les premiers échanges, l'intrigue titille : « Il paraît que Roméo est brusquement devenu fou ». Où l'on comprend petit à petit les relations entre les cinq personnages qui se succèdent sur la scène. Roméo, mari de Bice, serait apparemment devenu fou parce que sa femme a été courtisée par un autre. Leur couple d'ami, Georgio et Ginevra tentent de le comprendre et l'écoutent se poser des questions impossibles. Les dialogues ciselés sont formidablement servis par des acteurs à la présence apaisante - jamais de cris ou d'émotions surjouées - et à la voix claire et presque murmurée. Comme si le public était invité à entrer dans cette « folie » de l'esprit, des mots et des comportements humains. La mise en scène, enfin, d'une simplicité absolue et qui joue sur les lumières et les placements sur scène ou hors-scène, est envoûtante grâce à la conjonction de tous ces éléments.
Une folle dialectique qui donne le vertige
Roméo (interprété par l'excellent Olivier Horeau) a cette apparence du type normal, presque tout gentil, la tête dans les épaules, jouant le rêveur et cherchant la pitié. Le voilà, petit à petit, expliquant qu'il a commis un « crime innocent » mais qu'il ne doit pas en porter le remord puisqu'il a tué ce petit paysan sans le vouloir. La scène où il conte sa « mésaventure » est extraordinaire d'interrogations quasi-métaphysiques : Comment peut-il ne pas s'en vouloir d'un crime même involontaire ? Le doute le fait devenir « fou ». Il a alors besoin que tous avouent qu'ils peuvent commettre des fautes sans le vouloir, comme pour se rassurer. Mais il sent bien que ce n'est pas normal. Et puis se glisse, « on ne sait comment », un deuxième « crime innocent » : Roméo explique qu'avec Ginevra - l'épouse de Georgio, son ami - ils ont été « prisonniers de ce divin aveuglement » sans qu'ils n'y aient, tous deux, jamais pensé. « C'est horrible », ajoute-t-il. Et Bice, sa femme, de comprendre : « Vous parlez de ça devant moi ? Je ne compte donc pour rien ? » Réponse : « C'est pour toi qu'on a parlé ». S'ensuit une manipulation (ou des arrangements) de l'esprit pour faire adhérer la femme trompée à cette possibilité d'actes inconscients donc peu condamnables qui peuvent nous tomber sur la tête, à tout moment. Un seul ne sera jamais de cet avis : le mari trompé. Et qui rétablira, en un seul geste, la morale qui sauve et qui recadre - pour un temps seulement - l'être humain confronté à son vide existentiel. Et chamboulés, nous sortons de cette représentation en repensant à nos propres petits arrangements avec la vérité.
Claire BONNOT
"On ne sait comment" de Luigi Pirandello, mis en scène par Marie-José Malis
Jusqu'au 17 avril
à La Commune - Centre Dramatique National - Aubervilliers
2, rue Édouard Poisson, 93 300 Aubervilliers
Métro ligne 7 : arrêt Aubervilliers-Pantain-Quatre Chemins
Mardi, Mercredi, Jeudi, Vendredi à 19h30. Samedi à 18h. Dimanche à 16H.
Durée : 3h sans entracte.