"Sopro" de Tiago Rodrigues : une pièce au souffle saisissant

À voir si : vous avez le cœur léger et passionné

Du 12 novembre au 8 décembre 2018
au Théâtre de la Bastille

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“J’ai toujours travaillé dans l’ombre. (…) Je suis la mémoire, le cœur, le poumon du théâtre”

Sopro, Tiago Rodrigues


Le prolifique metteur en scène portugais Tiago Rodrigues réenchante à nouveau les planches théâtrales avec un spectacle à son image, délicat, simple et intense. En mettant le métier de souffleur sur le devant de la scène, il rend un puissant hommage à l’essence même du théâtre. L’envers du décor n’a jamais été aussi beau !

Sur cette scène au parquet mal en point d’où jaillit, par endroits, une végétation discrète mais vivace, un souffle s’engouffre soudain dans les rideaux. Une femme, toute de noir vêtue, se trouve là, silencieuse, un texte à la main, presque toute petite dans cet espace inclassable qui est en réalité un théâtre en ruine. Elle ne parlera pas; elle, elle soufflera. S’avancent alors des acteurs pour raconter sa propre histoire et dire ses propres mots.

Quelle merveilleuse illustration de ce qu’est et ce que doit être le théâtre : cette écoute si unique, si avide, si passionnée qui se crée entre les acteurs et les spectateurs.
— Apartés

Donner à voir une pièce dans la pièce pour célébrer l’invisible métier de souffleur

Tiago Rodrigues est un maître dans l’art de faire et de créer du théâtre. Avec de simples mots, une scène et des acteurs, il transporte aisément dans la tête et le cœur d’Emma Bovary (la pièce Bovary en 2015) ou dans l’histoire d’amour immortelle d’Antoine et Cléopâtre (pièce de 2017). Ici encore, il fait preuve d’une prouesse de magicien en faisant apparaître “l’homme invisible” et aujourd’hui quasiment disparu des théâtres (il n’existe plus en France) : le souffleur. C’est à son arrivée au Théâtre National de Lisbonne que Tiago Rodrigues rencontre la souffleuse Cristina Vidal. Il lui propose alors d’inventer un spectacle autour d’elle comme pour faire revivre l’histoire de ce lieu et, par extension, du symbole du théâtre. Elle refuse d’être sous le feu des projecteurs, n’aimant que l’ombre constitutive de son métier. Cette négociation se joue alors sous nos yeux et donne à comprendre le rôle de celui qui souffle : n’est-il pas l’âme du théâtre ? Cristina continue alors à souffler mais bien en vue cette fois, sur le plateau, et les acteurs qu’elle invite à s’avancer jouent ses propres souvenirs. Tels des pantins se réveillant au son de son chuchotement et variant leurs expressions à l’écoute de chaque mot, les trois comédiennes et les deux comédiens prennent vie, jouent la vie. Celle d’une petite fille qui voit une pièce de théâtre pour la première fois depuis le trou du souffleur et y trouvera sa voie ou celle d’un comédien exubérant qui perd sans cesse le fil de son texte rendant quasiment impossible le travail de la souffleuse. Dans cette histoire à épisodes, aussi drôles que déchirants, viennent aussi se placer des morceaux de textes que l’on reconnaît, ici Les Trois Sœurs, là L’Avare, procurant des pics d’émotions incroyables. Et nous voilà suspendus à chacun des souffles de Cristina que l’on ne peut pourtant déchiffrer et dont les surtitres en français nous traduisent ce si charmant son portugais. Quelle merveilleuse illustration de ce qu’est et ce que doit être le théâtre : cette écoute si unique, si avide, si passionnée qui se crée entre les acteurs et les spectateurs.

grâce à un très émouvant jeu d’acteurs en pleine fabrication du matériau théâtral

Ceux qui auraient peur que cet envers du décor casse la magie de la scène ne connaissent pas la sève du théâtre de Tiago Rodrigues. Il prend aux tripes, il fait sourire, il émerveille avec une simplicité de moyens et de talentueux comédiens. Ici, la souffleuse tient le texte bien en évidence, elle vient se placer aux côtés des comédiens sans jamais couper le rire ou l’émotion jaillissant de chaque scène. Tout est théâtre et l’aperçu de sa fabrication titille peut-être encore plus nos esprits de spectateurs curieux. Mention spéciale au faux “mauvais” comédien, l’immense et dégingandé Joao Pedro Vaz, jouant parfaitement à la diva clownesque qui ne retient jamais son texte. Le metteur en scène portugais signe là une très belle lettre d’amour au théâtre et à ce qu’il procure.

“Sopro” de Tiago Rodrigues, spectacle présenté en coréalisation avec le Festival d'Automne à Paris

au Théâtre de la Bastille
76, rue de la Roquette 75011 Paris

À 21h
Durée : 1h45