"Une folie" de Sacha Guitry par Francis Huster : ils vécurent heureux et eurent un beau divorce

À voir : si vous avez le cœur léger

Jusqu'au 30 août
au Théâtre Rive Gauche


"Pourquoi se marie-t-on d'ailleurs ?"; "Pour pouvoir divorcer un jour."

Une Folie, Sacha Guitry


Pour l'été, le Théâtre Rive Gauche se pique de « folie », la prose cynique et jouissive de Sacha Guitry, avec sa pièce, « Une Folie ». Ou comment plaider - en 1938, schocking ! - pour le divorce comme fin heureuse et libératrice du couple marié. 

Un fauteuil de cinéma côté cour estampillé Sacha Guitry accueille un Olivier Lejeune déjà très facétieux. C'est qu'il va jouer le rôle interprété par l'auteur lui-même lors de la première représentation, en 1951 : le fameux docteur Flache, célèbre psychiatre et instigateur du divorce. S'ensuit une première scène magistrale où Olivier Lejeune s'amuse comme un petit fou en futur retraité ravi de quitter son pavillon du XVIIIème - et sa (jolie) assistante - pour le soleil du midi. Florilège : « Vous resterez dans le midi ? Tant que je serais vieux. »« Les malades ? Ils m'ont tué ». Mais un tourbillon - de folie - va retarder quelque peu sa retraite dorée.

Un texte puissant aux punchlines incessantes : second degré préconisé...

On dit de l'auteur de théâtre, Sacha Guitry, qu'il était misogyne. Il est vrai que les femmes ne sont pas épargnées dans cette pièce - bécasses, marie-couche-toi-là ou, au contraire, furie qui porte la culotte - mais finalement ici, c'est le couple en lui-même qui est véritablement l'objet du délit. Est annoncé par l'infirmière un peu bécasse donc, anciennement « folle » et rétablie par le docteur d'une manière peu orthodoxe à ce que l'on comprend (parfaite Alice Carel même si on trouve que les caractères sont un peu trop stéréotypés dans la pièce en général), une certaine Missia qui est venue avec son compagnon, Jean-Louis, l'un et l'autre arguant, sans se le dire, que leur conjoint est devenu fou. Seul le docteur Flache pourra, selon chacun, les aider à sortir de cette impasse. L'homme (Manuel Gelin, un peu faible) : « Elle est de nouveau emmerdante. Je suis désolé de parler de ma femme de cette façon. Elle a ses lubies et ses coups de nerf. C'est une vraie torpille. » La femme (Lola Dewaere) : « Mon malheureux mari dont le cerveau chancelle. » Le docteur : « Séparément, vous êtes déjà éreintant. (...) ». « Ce Monsieur et cette Dame ne se jouent-ils pas un peu la comédie ? » semble nous demander Olivier Lejeune - Guitry car il diagnostique ses deux « malades » tout à fait normaux. Pourquoi toujours se chamailler et se balancer des fleurs à la figure si l'amour n'est plus là ? Le docteur, fin stratège car très intéressée par la belle (Lola Dewaere plutôt pertinente dans le rôle de Missia, cette femme-tornade, très sûre de son charme : « Vous aimez jouir, docteur ? » ) leur suggère à tous deux d'être infidèle pour être heureux : « Vous êtes malheureux et pas infidèles. Eh bien, soyez infidèles et vous serez heureux ». Et c'est là où les deux personnages féminins secondaires entrent en scène : l'infirmière assistante Valentine et la tapissière jouée par Alice Carel (en alternance avec Mathilde Hennekinne) qui se voit déformer, par le docteur, dans une scène hilarante, tout son discours sincère en un condensé de vulgarités (mal) bien placées. Mais coup de théâtre : le couple infernal se marie. Aveu final des épousés : Elle : « Pourquoi m'avez-vous épousé ? ». Lui : « Pour que tu puisses à présent (me) divorcer ». Elle : « Je l'ai épousé pour en finir. » Et dans le dernier acte, tel un prêtre exhortant ses brebis, Olivier Lejeune-Guitry s'épanche dans un sermont acerbe et cinglant sur les bienfaits du divorce. Bref, tout est bien qui finit bien pour deux amoureux qui ne s'aiment plus bien. Rideau. Il faut savoir que Sacha Guitry a aimé et épousé cinq femmes. Quatre de ces alliances ont terminé par un divorce. Et c'était le cas lorsqu'il joua la pièce dans les années 1950. C'est donc bel et bien après le mariage qu'il en a. Ne disait-il pas, « Le mariage, c'est résoudre à deux les problèmes qu'on n'aurait pas eus tout seul. » ? Dans « Une Folie », il invente tout un stratagème - presque une jurisprudence - pour briser le tabou du divorce et célébrer, finalement, l'amour, le vrai : « C'est très beau de recouvrer sa liberté en demandant à Dieu de bénir la rupture qu'il vient de consacrer. » 

... servi par un acteur joyeusement possédé de l'esprit de Guitry dans une mise en scène qui manque cependant... de folie.

Le fauteuil de cinéma de Sacha Guitry occupé par Lejeune au début de la pièce est une image saisissante. Il l'incarne à merveille. Petits sourires en coin, attendant joliment les réactions du public, frétillant de tant de bons mots, Olivier Lejeune se régale et nous avec. Ses partenaires paraissent moins possédés - et un peu plus caricaturaux - que lui par la verve de Guitry mais Lola Dewaere incarne assez bien cette femme insoumise aux codes de la société, mangeuse d'hommes ou plutôt de liberté. La réelle déception porte sur la mise en scène de Francis Huster : bien que la prose du grand homme de théâtre soit irrésistible, elle a beaucoup de longueurs qui auraient mérité - non pas des coupures - mais des arrangements fous, justement !

Claire BONNOT