Partagé comme une fable au goût d'éternité, le mythe de Médée revisité par l'écrivain Laurent Gaudé prend formidablement vie au travers de cette mise en scène qui oscille entre l'outre-tombe et le mauvais songe. Envoûtant.
Dans une petite salle sombre se dévoile soudain une femme presque nue, enlacée dans un bustier couleur chair - aussi sensuel que troublant - recouverte de rouge sang sur la moitié du visage et chaussée de pointes de ballerine, jambes grandes ouvertes comme prête à s'offrir. Elle se met à parler - d'une voix lancinante - accompagnée de quelques notes sombres ou des vifs coups d'archer d'une contrebasse. Elle, c'est Médée, Médée Kali, la meurtrière mythologique de ses propres enfants.
Un texte de théâtre incroyablement visuel et captivant...
Laurent Gaudé est un grand conteur d'histoires qui sait manier les mots à merveille pour faire visualiser à ses heureux lecteurs le moindre détail de ses contes fabuleux. Avec « Médée Kali », pièce de théâtre écrite en 2003, il ne déroge pas à son fort pouvoir d'envoûtement par la plume. Il imagine la suite du mythe de Médée et Jason après que celle-ci se soit vengée de son mari en ayant tué leurs propres enfants. Elle retourne en terres grecques pour exhumer ses enfants de cette patrie qu'elle abhorre désormais. À travers le monologue qu'il offre à la femme bafouée et l'héroïne monstrueuse, le romancier-dramaturge nous emmène sur les bords du Gange en Inde où il place la naissance de Médée au milieu des parias, des Intouchables - « Je n'ai pas eu de parents, c'est cette foule entière qui m'a accouchée. » Très vite, « la magicienne » trouvera son aura séductrice par la danse. Lui prêtant les pouvoirs de Gorgo, la méduse, elle fait le malheur des hommes qu'elle regarde en les pétrifiant de « l'effroi glacé de (ses) prunelles. » Sur ses pas, une présence. Oscillant entre la montée d'un désir intense pour cet homme qu'elle pressent et la guerrière prête à tout qu'elle est - « Tu remontes sur ta selle, tu es sage. Je t'aurais dépecé, recule encore. » - la Médée Kali de Laurent Gaudé est saisissante de cruauté tout autant que d'humanité.
... interprété et mis en scène avec sobriété pour un trouble intensifié
Dans cet impressionnant face-à-face nous donnant l'impression qu'un mythe statufié pour l'éternité ressuscite sous nos yeux, Émilie Faucheux parvient à conserver ce brio de l'écriture en scandant langoureusement cette prose fabuleuse et mystérieuse. Sa voix suave voire sadique nous emmène allègrement des bords du Gange, entre la danse sensuelle et les orgies dantesques, à la Grèce où gisent les tombeaux des deux enfants qu'elle a tué. S'offrant totalement au public en maintenant constamment ses jambes écartées mais pudiquement habillée comme une ballerine d'opéra, cette Médée Kali s'illustre comme une femme victime et meurtrière à la fois. Alors qu'elle glace jusqu'au sang ceux dont elle croise le regard pour les emmener jusque dans leur tombe, elle ne fait qu'une bouchée de nos cœurs de spectateurs en recherche d'envoûtement passionné.
Claire BONNOT
"Médée Kali" mise en scène par l'Ume Théâtre avec Émilie Faucheux, Jean Waché et Jonathan Chamand
Du 7 au 30 juillet à Présence Pasteur
13, rue du pont trouca, 84 000 Avignon
À 22H. Durée : 1h.