Regard envoûtant, voix chaude et détermination passionnée, Gaëlle Billaut-Danno est aussi magnétique que son personnage d'Emma dans le vaudeville faussement léger du britannique Harold Pinter, « Trahisons ». Apartés a rencontré la vibrante comédienne autour d'un thé (british spirit oblige) pour découvrir quelle femme se cache sous ce trio amoureux troublant et intrigant. En scène !
Après une création à succès au Lucernaire du 23 août au 8 octobre 2017, la pièce « Trahisons » revient enflammer les planches de ce beau théâtre pour la nouvelle année. L'occasion de se plonger dans les ressorts de cette pièce savoureuse écrite en 1978 par le Prix Nobel de littérature 2005, Harold Pinter.
« Trahisons », « Triangle amoureux », mari, femme, amant... Cette pièce ressemble, à première vue, à un vaudeville classique. Mais ce n'est que l'envers du décor...
Cette pièce n'est pas simplement la problématique du mari, de la femme et de l'amant, le fameux triangle amoureux avec ses tromperies, ses coucheries, c'est bien plus complexe que ça. Pour moi, c'est vraiment l'histoire de trois personnages qui s'aiment profondément et qui pourtant se maltraitent car ils sont chacun aux prises avec leurs questionnements, leurs aspirations et leurs rêves.
L'affiche de l'adaptation mise en scène par Christophe Gand semble afficher d'emblée la couleur... La femme mène clairement le jeu ?
Cette affiche est évidemment symbolique et chacun peut l’interpréter par son propre prisme. Au fond elle est assez révélatrice du rapport entre les deux hommes et de leur positionnement par rapport au personnage féminin de la pièce. C’est la femme qui est au centre – symbolisée par le rouge à lèvres - qui n'est d'ailleurs pas sans évoquer aussi une forme très phallique. Les deux hommes cherchent à conquérir la femme, la posséder, mais vont ils y parvenir ? Ils forment tous les deux une équipe tout en étant en compétition.
Qui est cette femme, Emma ?
Il me semble que le personnage qui évolue le plus dans la pièce, c'est elle, Emma. « Trahisons » raconte vraiment l'histoire d'une émancipation pour la femme. C'est une chrysalide qui devient papillon. Au fil de la pièce, elle se prend en main, elle devient galeriste alors qu'au début, elle est une petite bourgeoise, femme au foyer et mère, mariée à Robert, éditeur de métier. Cette vie lui va très bien, elle est heureuse du moins elle le croit et elle n'imagine pas un instant tromper son mari. C'est lorsque Jerry (agent littéraire et meilleur ami de son mari) lui fait cette déclaration fougueuse qu'elle est déstabilisée et totalement séduite. On imagine qu'ils vont se revoir, parler, partager et elle va alors se rendre compte qu'elle peut avoir un échange intellectuel avec un homme, qu'elle peut être considérée intellectuellement par un homme. Au-delà de l'attirance, ça va certainement lui donner envie d'aller plus loin. Elle va se découvrir, comprendre qu'elle s'est menti à elle-même et elle est là aussi la trahison, vis-à-vis de soi-même. La tentation n'est pas que de tromper son mari, c'est de vivre une autre vie, de se trouver mais ça fait des dégâts évidemment.
"La tentation n'est pas que de tromper son mari. Elle va se découvrir, comprendre qu'elle s'est menti à elle-même et elle est là aussi la trahison, vis-à-vis de soi-même."
Comment avez-vous abordé ce rôle ?
Je ne voulais pas en faire simplement une femme qui trompe son mari avec son amant, cela me semblait très réducteur et ça ne reflète pas toute la profondeur du propos de la pièce. Il ne faut pas oublier que « Trahisons » a été écrite en 1978 et que le temps de l'action se déroule entre 1965 et 1975, en plein passage de mai 1968, de l'émancipation de la femme dans les années 60 et du bouleversement du modèle familial et social préétabli. L'aventure d'Emma avec Jerry est totalement en cohérence avec une époque où on prône la transgression. Tout d'un coup, ça lui semble possible à elle aussi de tout faire exploser, de sortir de son petit monde bourgeois.
La femme, loin d'être simplement un objet de convoitise entre les deux mâles, prend alors sa liberté ?
Emma est un personnage très fort et finalement assez courageux, c'est la seule qui est vraiment prête à tout envoyer valser. Quand elle demande à Jerry s'il n'a jamais pensé à changer de vie (Monsieur est marié mais a aussi un studio avec Emma, son amante, qu'il voit dès qu'il peut), il lui répond que c'est impossible pour lui. Il se révèle donc aussi plan-plan que Robert, son mari. C'est Emma qui met fin à cette relation qui se délite car elle sent sûrement qu'elle ne lui apporte plus ce qu'elle recherche désormais. Jerry ne la comprend plus. Et le fait qu’elle devienne indépendante, au fond le déstabilise. Qu’elle se mette à travailler, qu’elle ne soit plus totalement disponible pour lui, qu’il ne soit plus sa priorité le dérange.
Un extrait qui illustre bien le personnage d'Emma selon vous ?
À la scène 4, la seule vraie scène de la pièce où les 3 personnages sont réunis, excepté la scène de fin – qui est en réalité le début de l’histoire - C'est vraiment une femme d'aujourd'hui qui parle... Quand Robert propose à Jerry de l'emmener au squash puis de l'inviter à déjeuner, Emma dit qu'elle pourrait venir les regarder et les emmener, elle, déjeuner tous les deux. Elle se positionne ainsi en véritable acteur du trio.
Quel genre de femmes aimez-vous jouer ?
Chaque nouveau personnage est un cadeau. J’aime bien sûr jouer les personnages complexes, tiraillés, en un mot, humains ! Chez Emma, c'est la femme en pleine émancipation qui m'a séduite, c'est cette part d'elle-même qui m'a tout de suite parlé. Pour incarner au plus vrai les personnages que je joue, j'essaie de trouver un point de jonction entre eux et moi. J'ai d'ailleurs remarqué qu'on vous donne souvent des rôles en phase avec votre énergie du moment, avec ce que vous dégagez. Pour mon premier gros rôle, Blanche dans « Un Tramway nommé Désir » (Tennessee Williams, mise en scène de Elsa Royer), j'étais assez fragile, tout le temps à fleur de peau et c'est ce que la metteuse en scène avait perçu en moi, ce côté un peu femme-enfant écorchée. Avec « Célimène et le Cardinal » (la comédienne a été nommé au Molière de la révélation féminine pour ce rôle en 2015, mise en scène de Pascal Faber), j'ai eu la joie d'interpréter une femme combattante, forte, en avance sur son temps. Il y a un peu de ça chez moi aussi. J'adore jouer les femmes modernes avant l'heure et que les femmes d'aujourd'hui, les spectatrices, puissent se dire 'Ça pourrait être moi ou j'aurais aimé que ce soit moi". Célimène tient tête à un Alceste devenu un cardinal extrêmement puissant, symbole d'un extrémisme religieux et ça faisait écho à tout ce qui se passait en France à l'époque.
"J'adore jouer les femmes modernes à d'autres époques et que les femmes d'aujourd'hui puissent se dire 'Ça peut être moi ou j'aurais aimé que ce soit moi"".
On pourrait dire aussi que la trajectoire d'émancipation choisie par le personnage d'Emma fait écho, justement, au soubresaut actuel envers la condition des femmes
Il y a vraiment un équilibre entre les 3 personnages et c'est l'élément féminin qui envoie tout valser et qui fait tout voler en éclats. Il semble qu'elle ne pouvait presque pas faire autrement.Elle en est « désolée » comme elle le dit à Robert, son mari, mais c’était pour elle une nécessité.On parle beaucoup des rapports entre les hommes et les femmes en ce moment. Personnellement, je crois qu’il est important de chercher aujourd’hui à préserver la complémentarité et le bel équilibre qui peut exister entre les hommes et les femmes. Mais il est capital aussi de ne pas oublier que encore, chez nous, il reste du chemin à parcourir, que des femmes sont violentées, humiliées, dans les cadres domestique et professionnel, que ce n’est pas derrière nous. J'ai d'ailleurs posé, comme d'autres comédiennes, pour l'association « Aux larmes citoyennes » en Marianne, avec des larmes symbolisant les stigmates de la violence faite aux femmes et la colombe de l'espoir et de la paix. Une première exposition aura lieu le 16 mars prochain à la mairie de Levallois.
Et votre parcours de comédienne, quel est-il ?
Je suis ce qu'on appelle une enfant de la balle car ma mère était comédienne mais je ne voulais surtout pas faire ce métier. J'ai fais autre chose avant après avoir poursuivi des études de commerce. C'est vraiment ce métier qui est venu me chercher par l'intermédiaire d'une de mes amies qui voulait prendre des cours de théâtre en amateur. Ça a ouvert en moi quelque chose que, je crois, je m’étais interdit. C’est totalement « insecure » comme métier, on ne sait pas du tout de quoi demain sera fait mais c’est jubilatoire parce qu’on sait pourquoi on prend des risques. On sait pourquoi on déploie une énergie incroyable. Il n'y a pas beaucoup de gens qui ont cette chance-là. Ma mère me disait : « Si tu fais ce métier un jour, ne le fais que si c’est vital ». Et je la comprends maintenant. Il faut que ce soit vital pour accepter tous les écueils, tous les refus, tous les échecs. Mais on se bat de bon cœur. Ma nomination aux Molières a été un vrai cadeau en ce sens. C'était très important pour moi, c'est comme une reconnaissance, un adoubement de mes pairs et ça permet de se sentir plus légitime dans ce métier.
BIO EXPRESS
2006 « Un Tramway nommé Désir » d'après Tennessee Williams, mise en scène par Elsa Royer
2011 « L'Échange » de Paul Claudel, mise en scène par Xavier Lemaire
2013-2017 « Célimène et le Cardinal » par Jacques Rampal, mise en scène par Pascal Faber
2015 Nomination aux Molières catégorie révélation féminine
2017 « Trahisons » d'après Harold Pinter au Lucernaire, mise en scène par Christophe Gand
2018 Reprise de « Trahisons » au Lucernaire puis au Festival OFF d'Avignon
Un grand merci à Gaëlle Billaut-Danno et à Mara Villiers