Une mise en scène spectaculaire offrant un véritable écrin au déroulement de l’intrigue…
Vivre en live les effets sons et lumières titanesques du théâtre de Thomas Jolly donne vraiment envie de voir l’ensemble de ses spectacles. Pour vibrer, pour frémir, pour se glacer les sangs encore un peu plus. Car le spectacle est total, digne d’une apocalypse comme l’est cette histoire inhumaine écrite au Ier siècle après J-C.
Les Caïn et Abel de Sénèque se nomment Atrée et Thyeste. Atrée veut se venger. Thyeste l’a profondément blessé. Sa femme et le bélier d’or lui ont été usurpés. Pleurnichant sur cette infamie dont il a été l’objet, Atrée va « oser un crime contre l’humanité ». « L’avenir te regardera avec horreur mais on parlera de toi. » se délecte cet être devenu double, tel un Golum théâtral et dont la douleur « trop extraordinaire » changera la face de son humanité et de l’Humanité. L’espace scénique revêt alors les couleurs de la cruauté grandissante et affirmée d’Atrée, monstre en devenir façonnant un monde monstre : rouge sera le halo de fumée qui l’entoure lorsqu’il prévoit les sacrifices humains des deux fils de Thyeste, stridente sera la mélodie des violons lorsqu’il découpe méticuleusement en morceaux ses propres neveux, explosive sera la puissance des néons lumineux - l’imaginaire Star Wars nous saute aux yeux - lorsque le crime est fait et bien signé. Dans un no man’s land où des ombres d’enfants chantent un air lugubre, l’heure de la fin du monde a, semble-t-il, sonné. Sur cette planète abandonnée par le soleil, une poupée manga scande à la façon d’un rap alarmant que la catastrophe est universelle, ayant éradiqué hommes et Dieux en même temps. C’est le moment que choisit l’immonde assassin pour nous inviter à partager sa table. Elle sera cannibale.
… et qui ne vole pas la vedette à l’interprétation des comédiens, exploitant eux-mêmes toute cette immensité qui est à leur portée pour symboliser les humaines monstruosités
Si l’on pouvait craindre que la mise en scène étouffe l’essence même de la pièce, Thomas Jolly rassure dès les premières scènes. Le texte s’entend très bien comme s’il fallait que nous, public, nous nous délections de chacune des avancées vers l’horreur impensable. Féru de monstres qu’il a souvent interprétés, le metteur en scène se love aisément dans ce personnage atroce, s’affichant grimaçant en complet jaune poussin ou blanc immaculé, comme pour défier les symboles de la pureté. Son frère, passant d’un pauvre ère à un roitelet épais, s’empiffrant goulûment, est très bien interprété par Damien Avice. Et quelle meilleure scène que celle du banquet pour démontrer toute l’intensité du jeu des comédiens n’ayant que peu besoin de soutien sonore et visuel ? Le texte, lui-même, demande presque de le recracher, son sens, insensé, donne déjà la nausée. Il a mangé ses enfants sous le regard avide et affamé de haine de son propre frère. Voilà ce que les tremblements de Thyeste disent du monde et de l’humanité : « Je n’ai plus de souffle pour crier,(…) qui a jamais vécu pareille horreur, pareil déni d’humanité ».
“Thyeste” de Sénèque par Thomas Jolly
Théâtre de la Villette
211 Avenue Jean Jaurès,
75019 Paris
Tous les jours à 20h
Durée : 2h30