Depuis le 14 septembre 2018 au Théâtre de la Porte Saint-Martin
“Mon Dieu ! Le plus souvent l’apparence déçoit. Il ne faut pas toujours juger sur ce qu’on voit.”
Le Tartuffe, Molière
Pièce très attendue de la rentrée réunissant deux monstres sacrés de la scène, Jacques Weber et Pierre Arditi, “Le Tartuffe” de Molière par Peter Stein tient ses promesses. Offrant un véritable écrin au texte cruel de Molière, le metteur en scène allemand opte pour le charisme de ses acteurs et la force de l’intrigue, toujours aussi actuelle.
Dans une demeure bourgeoise, une fête costumée bat son plein sur des airs musicaux qui couvrent aisément les trois siècles qui nous séparent de Molière. Puis, la maisonnée s’éveille et un homme au long manteau noir passe et monte à l’étage, jetant une ombre à ce décor immaculé et à cette atmosphère insouciante. Nous voici dans la demeure d’Orgon, dans laquelle il semblerait que sa propre famille ne se sente plus chez elle… La faute à qui ? Un dévot, du nom de “Tartuffe”, pour qui Orgon reniera bientôt ses proches et leur héritage.
Une mise en scène subtile et sobre libérant toute la puissance du texte
À un an d’intervalle, le théâtre de la Porte Saint-Martin a accueilli deux mises en scène de “Tartuffe”, diamétralement opposées. Michel Fau avait opté pour la folle extravagance qu’on lui connaît, alourdissant malheureusement la pièce qui partait dans trop de directions, tandis que Peter Steinchoisit aujourd’hui d’offrir aux spectateurs un ensemble classique laissant tout l’espace aux comédiens. Tout se joue dans ce salon distingué, encadré - ou encerclé ? - par les chambres à l’étage dont l’une abrite le faux pieux, Tartuffe. Les coups d’éclats d’Orgon, les crises de pleurs de sa fille Mariane, les sermons enflammés de la servante Dorine, les entourloupes viles de Tartuffe, tout se joue avec une application particulière, dans un mouvement harmonieux, presque chorégraphié. Les mots résonnent ainsi fortement dans ce cadre élégant et leur sens parvient avec bien plus de poids aux oreilles du public. C’est peut-être là le génie de cette mise en scène décriée pour son manque de parti-pris : elle apparaît bien plus “sournoise” qu’il n’y paraît. L’atmosphère presque apaisante dénote fortement avec la cruauté du texte qui, par ce jeu de contrastes, se fait parfaitement entendre. Un “lissage” à l’image de la fourberie du Tartuffe qui endort la conscience d’Orgon (Jacques Weber est fabuleux en homme envoûté, presque anesthésié, une posture dans lequel on voit peu ce fougueux acteur). Nous aurions donc été “tartuffiés”… pour la bonne cause. Celle du théâtre qui demande à son public d’ouvrir grand ses oreilles et son cœur. La violence passant par les mots et non par les images frappe fort et a posteriori : un deuxième temps qui nous laisse sonnés bien après la représentation.
… et au service des acteurs dont le jeu peut se déployer en liberté
Au cœur de cette mise en scène épurée de tous artifices, les comédiens peuvent prendre toute leur place. Et leur plaisir de jeu se ressent et se répand : quelle entrée de Pierre Arditi, sortant de sa chambre à pas de vieillard, vêtu d’une vieille peau rapiécée, s’infligeant une séance de flagellation grandiloquente et hilarante. Quelles minauderies délicieusement ridicules du gracieux géant Jacques Weber, quasi énamouré de son “pauvre homme”. Quelle présence de la jeune Manon Combes, fabuleuse en Dorine régentant la maisonnée et son maître devenu déraisonné ! Isabelle Gélinas, toujours parfaite, est très convaincante en Elmire, opérant avec grâce et finesse le manège qui perdra le Tartuffe. Si, certaines scènes, il faut le dire, perdent un peu en rythme, d’autres sont de vrais petits bijoux : mention spéciale au quiproquo entre les amoureux transis Valère et Mariane où le jeune premier Loïc Mobihan irradie sur scène d’une présence frémissante. On retiendra ensuite la scène pathétique où Jacques Weber/Orgon se met à quatre pattes derrière son Tartuffe adoré, tel un petit chien à sa botte, cherchant à protéger l’honneur bafoué du dévot. Pierre Arditi, enfin, est magistral dans ce rôle d’imposteur; qu’il bouge sa tête aux cheveux filasses d’un côté et fasse ce petit sourire mielleux et la salle s’esclaffe dans un rire qui vire au jaune, partagée qu’elle est entre le comique et le tragique de la situation. Peter Stein offre ainsi aux spectateurs un excellent moment de théâtre, jouissif, intéressant, hilarant et percutant, rappelant que la langue de Molière est éternelle et qu’elle doit être écoutée et entendue.
Claire Bonnot.
“Le Tartuffe” de Molière, mis en scène par Peter Stein
Depuis le 14 septembre 2018 au Théâtre de la Porte Saint-Martin 18, boulevard Saint-Martin 75010 Paris