"Les Mille et Une Nuits" par Guillaume Vincent : le charme ne tient qu’à un fil

À voir si : vous avez le cœur tourmenté

Du 8 novembre au 8 décembre 2019
au Théâtre de l’Odéon

© Elizabeth Carecchio

© Elizabeth Carecchio


“Tu arriveras, le roi me prendra, et quand il aura fini la chose, tu me demanderas : « Ma sœur, raconte-moi une histoire merveilleuse qui nous fasse passer la nuit agréablement. » Alors moi je te raconterai des contes qui seront la cause de notre salut et délivreront notre pays du tyran.”

Les Mille et Une Nuits


Déroutante et protéiforme, l’adaptation des Mille et Une Nuits signée Guillaume Vincent a tout de même le mérite de plonger au cœur de la sève des récits. Le charme, cependant, ne tient qu’à un fil… des fulgurances poétiques de la fiction, de l’envoûtement suscité par la mise en scène et de la justesse de l’interprétation.

Puissante est la première scène où, au cœur du Théâtre de l’Odéon, cinq jeunes vierges en kitschissimes robes de mariée sont avalées par une porte menant à des escaliers recouverts de sang encore frais. Attendant avec effroi dans une sorte de harem avec salle d’attente aux fauteuils modernes, ces femmes subissent le désir vengeur d’un roi trahi par son épouse. Le massacre sera stoppé grâce à l’arrivée d’une sorte d’ensorceleuse prénommée Shéhérazade. Car le roi meurtrier est suspendu aux lèvres et aux mille et un récits de sa belle…

Les contes des Mille et Une Nuits offrent d’eux-mêmes plusieurs univers comme l’explique le metteur en scène; Peut-être est-ce donc la visée de faire du spectateur un funambule balloté - mais, ici, peu envoûté - par les fils entremêlés à jamais de l’incessant récit
— Apartés

Au Pays du bizarre



On pourrait se croire dans un monde en carton-pâte tout droit sorti de l’imagination d’un enfant où des lamelles scintillantes de papier quadrillent l’espace, une souris en peluche grandeur nature joue au monstre et un Casimir fait son apparition. Le contraste qui en résulte avec le drame de fond et la puissance sensuelle, destructrice et angoissante des récits n’en est que plus fort et évidemment déroutant. C’est pourtant ce qu’a voulu exactement Guillaume Vincent, ce « mélange des genres » et des registres associé à un goût certain du merveilleux : « J’aimerais pouvoir restituer la beauté initiale de ces contes, au premier degré, presque naïvement, avec la joie enfantine de faire voler des tapis. » Il en résulte de vrais instants de fulgurances poétiques que nous attrapons au vol, trop heureux de s’abreuver de ces purs moments suspendus mais malheureusement trop peu nombreux dans ce spectacle protéiforme. Les contes des Mille et Une Nuits offrent d’eux-mêmes plusieurs univers comme l’explique le metteur en scène; Peut-être est-ce donc la visée de faire du spectateur un funambule balloté - mais, ici, peu envoûté - par les fils entremêlés à jamais de l’incessant récit : « Les Nuits viennent d’une tradition orale, on sait qu’elles ont été écrites à plusieurs mains, à travers plusieurs siècles et plusieurs continents, aussi a-t-on affaire à des registres très différents d’une histoire à l’autre ; si parfois on est dans un imaginaire très érotique, certains contes sont écrits avec l’efficacité d’une bonne pièce de boulevard, c’est parfois extrêmement drôle, parfois très violent et très glauque »

Où le charme opère par intermittence

Symbole du pouvoir vital de la fiction, les contes des Mille et Une Nuits demande un envoûtement complet, une attention fiévreuse, un désir intense. Les méandres du récit de Shéhérazade ont tout d’extraordinaire - du merveilleux au scabreux - mais ne sont soutenus que par une même complexité d’univers, de registres et de jeux extrêmement mouvants. Il en résulte un étourdissement du sens et non pas des sens, ce qui serait pourtant bienvenu pour éviter que le charme ne soit rompu. Certaines scènes sont cependant très fortes, d’une incarnation solaire et frémissante : mentions spéciales à Emilie Incerti Formentini qui suscite instantanément la magie d’une scène grotesque à une autre plus émotionnelle ainsi qu’à Moustafa Benaïbout et Charles-Henri Wolff.

Claire Bonnot

"Les Mille et Une Nuits" par Guillaume Vincent librement inspiré des Mille et Une Nuits,

Au Théâtre de l’Odéon
Place de l’Odéon,
75006 Paris

Durée : 2h50 (avec entracte)