À voir si : vous avez le cœur bien accroché
Du 3 au 26 mai 2019
au Théâtre des Bouffes du Nord
“Myrtle : Je prie pour avoir des choses à dire qui fassent sens.”
“Manny, le metteur en scène : Cette femme, elle n’a pas d’âme, elle veut être amoureuse et son temps est passé. Qu’est-ce que la pièce n’exprime pas ?”
“Myrtle : L’espoir !”
Opening Night, d’après le scénario de John Cassavetes par Cyril Teste
Brouillant les pistes entre fiction et réalité en conjuguant théâtre et cinéma, Cyril Teste adapte avec une grande esthétique le scénario du film de John Cassavetes. En plein dans son rôle et sa réalité, Isabelle Adjani y est particulièrement émouvante même si le spectacle souffre d’un certain manque de profondeur.
Dans le Théâtre des Bouffes du Nord, à la présence déjà si intense, un salon chic dévoile un immense cadran où y apparaissent en gros plan - et noir et blanc - les visages des acteurs. Isabelle Adjani, Frédéric Pierrot et Morgan Lloyd Sicard jouent déjà à l’Opening Night tant ils semblent en pleine répétition et n’ont de cesse de répéter la même scène qui pourrait tout aussi bien être la vie même… Un baiser sur la joue d’Isabelle Adjani et le jeune metteur en scène d’exercer, déjà, son joug de créateur tout-puissant ou… impuissant justement ? « Tu me plantes pas toi ce soir »…
Un dispositif de mise en scène impressionnant qui aurait pu être bien plus envoûtant si le texte avait suivi
Comme si l’on assistait à la même pièce, sans cesse répétée dans un processus infini à la Un jour sans fin (film des années 1990 avec Bill Murray), Opening Night nous plonge dans un abîme sans réponse : celui d’une pièce dans la pièce où une grande star, Myrtle Gordon, rejoue sans cesse la répétition des scènes, tombant bientôt dans une folie existentielle, apparemment causée par la mort accidentelle de l’une de ses jeunes admiratrices. Nous sommes appelés, nous, public, à assister à la création et à la construction d’une pièce en cours, avant sa première. Nous sommes même filmés, parfois juste avant que la grande Adjani apparaisse à l’écran, seule et démunie sur scène - comme nue devant son public admiratif -, en recherche profonde de son rôle. Cette actrice qu’elle interprète se pose des questions existentielles sur son personnage, le metteur en scène la malmène, son partenaire ne la comprend pas : « Myrtle : Je prie pour avoir des choses à dire qui fassent sens. Manny : Cette femme, elle a pas d’âme, elle veut être amoureuse et son temps est passé. Qu’est-ce que la pièce n’exprime pas ? Myrtle : L’espoir ! »
Jouent-ils la pièce, jouent-ils seulement les tourments des répétitions en amont ou vivent-ils, eux acteurs, cette recherche à l’instant même ? Lorsqu’ils répètent la scène d’une gifle, Myrtle s’y dérobe et s’effondre soudain. Elle est dans l’incapacité de se relever, Manny (Morgan Lloyd Sicard) s’impatiente, tente tout - plus de perversité que de tendresse dans son attitude, tendresse que son actrice quémande pourtant, peut-être à outrance ? La présence de la vidéo semble accompagner les errances de la grande star, tourmentée par l’accident d’une fan (interprétée par Zoé Adjani) qu’elle a vu de ses yeux. Les plans d’Adjani, bien réelle sur le plateau des Bouffes du Nord, sont entrecoupés d’une présence féminine, qui, elle, ne fait qu’hanter le plateau. Car ce n’est pas elle qui est au premier rang, à l’endroit où le caméraman est en train de filmer. Pourtant, ce fantôme est partout surtout lorsque Myrtle s’égare dans sa folie ou son chagrin.
Si les questionnements de l’actrice sur le temps qui passe, la profondeur de son rôle - elle lira un passage fameux de Nina dans La Mouette de Tchekhov - son besoin d’amour en tant que comédienne et femme, sont passionnants, ils se perdent vite dans ce délitement organisé et improvisé d’une pièce en reconstruction perpétuelle, soir après soir. Ne faudrait-il pas alors venir voir la pièce plusieurs fois pour comprendre ce processus de “première” permanente ? En une seule représentation, il est difficile de ressentir où se nichent les improvisations et d’y voir surgir le théâtre comme processus infini. Il reste la superbe esthétique de ces films en direct où les visages habités des comédiens révèlent leur virtuosité de jeu. Ce regard d’Isabelle Adjani : filmés en noir et blanc, ces yeux paraissent puissamment bleus…
Des acteurs formidablement ambivalents et une Isabelle Adjani bouleversante dans un jeu d’une sincérité totale