"Les Palmiers sauvages" d'après William Faulkner par Séverine Chavrier : l'amour balayé par les vents contraires

À voir : si vous avez le cœur bien accroché

Jusqu'au 25 juin 2016
aux Ateliers Berthier


"L'amour et la souffrance sont une seule et même chose"

Les Palmiers sauvages, Séverine Chavrier d'après William Faulkner


Dans un impressionnant dispositif scénique, la metteuse en scène Séverine Chavrier, nouvellement nommée à la tête du CDN Orléans, adapte l'univers brûlant du grand écrivain américain William Faulkner dans sa pièce, « Les Palmiers sauvages ». Un amour passionnel et destructeur, fait de grandeur et décadence, à l'image de la météo du sud américain.

Les Ateliers Berthier sont parés pour l'orage, la déferlante d'amour, le déchaînement des éléments naturels. Il tonne en début de spectacle : il pleut des éclairs. Tout est noir puis l'on distingue par intermittence, façon lumières de night-club, un homme et une femme, qui errent sur la scène peuplée de lits, d'étagères, de fauteuils de théâtre, un foutraque bric-à-brac, déjà. Et la foudre s'abattra, bientôt.

Une scénographie impressionnante, parfaite alliée de l'amour destructeur

Première rencontre : « Ça brulait ! C'est p'têtre un coup de foudre ». Harry et Charlotte se sont parlés dans un couloir d'hôpital où il est lui-même interne. Explosion. Les deux acteurs sursautent. Et nous aussi. Puis noir. C'est le début de cette histoire de passion ravageuse racontée par l'écrivain américain William Faulkner, en 1939, de La Nouvelle-Orléans, à Chicago, en passant par le Wisconsin, puis de retour à Chicago et à La Nouvelle-Orléans. Le Prix Nobel de littérature décortique mieux que quiconque les petites vies ballotées par les grands sentiments, en relation avec les éléments naturels dévastateurs de son Amérique natale. C'est ce que réussit parfaitement à transposer la jeune metteuse en scène et musicienne, Séverine Chavrier, en faisant se répondre les jeux de sons et lumières - entre musique techno et mélodies dramatiques (qu'elle joue elle-même au piano), clair-obscurs et noir total - et le dispositif scénique toujours en mouvement, chaotique et destructeur. Des sortes de lits de camps très grinçants jonchent ce plateau agrémenté d'une multitude de matelas, de chaises empilées en fond de scène et d'une immense étagère remplie de boîtes de conserves près de laquelle sont encastrées des caissons de bières. Quand l'amour se distord, l'étagère se tort et laisse tomber ses boîtes dans un bruit sourd et fracassant, des feuilles tombent du ciel puis sont soudain dispersées par un ventilateur posé en travers. C'est que l'histoire d'amour finit mal. Entre ce jeune interne qui ne connaît rien de la vie - Charlotte (très naturelle Déborah Rouach) ne lui dit-elle pas ? « T'as rien fait en fait. T'as pas sauté sur les lits. T'as pas sauté sur les femmes. » - et cette Charlotte, mariée et mère de deux enfants, la fugue adultère ne sera qu'étouffement. Lui sait bien que « pas d'argent, pas d'amour ». Elle veut une « lune de miel » à tous les instants, pas d'enfants, pas de toit, rien qu'un amour exclusif et dévorant . Alors, ils se ballotent de logements de fortune en gîte au bord de mer, entre les vagues, la tempête glaciale et le vent bruissant dans les palmiers sauvages - « Le palmier sauvage fait toujours le même bruit, toujours le même bruit sec ». Jusqu'à l'épuisement ultime. On commence avec la foudre, on finit avec les sirènes d'une ambulance.

mais un texte trop épars qui se laisse manger par les effets de décor et lumière

Le grand écran projette diverses séquences dont - « Travailler à aimer » ; « Aimer travailler » et « Recoller les morceaux ». Entre elles, peu de dialogues entre les deux fous-furieux de l'amour et beaucoup de parties de jambes en l'air, hilarantes d'ailleurs : entre des flash de lumières, on voit sauter les deux amants, sur les lits grinçants, des pieds, des têtes, des mains dépassant. Ici, c'est l'action et les éléments qui parlent le mieux. On note cependant des répliques fondatrices :  « Quoi ? » ; « Tu dors ? » ; « Si j'te demande si j'peux t'embrasser, tu dis quoi ? » se répondent Charlotte et Harry, dans un noir total et comme chuchotant. « Sers-moi, tiens-moi, aime-moi ! » dit Charlotte. « Tu crois que c'est possible de faire l'amour en apesanteur ? »; « C'est l'amour sans gravité »; « T'es un poète ». « Elle aime mes fesses, mes cheveux, elle aime mes yeux ». « J'étais en état d'éclipse avec juste cette quantité de provisions qui nous séparaient de la mort », s'inquiète Harry. Le reste est immédiateté, fulgurance. Tout se passe en plateau. À nous de regarder, d'observer, de lever la tête bien haut : Quand Harry fuit, « non pas pour s'enfuir mais s'échapper de leur avenir », il grimpe jusque dans les cintres. Malgré beaucoup de longueurs - on ne comprend pas vraiment pourquoi Harry, le comédien Laurent Papot a l'air éminemment sympathique et perdu de l'acteur, metteur en scène et réalisateur Vincent Macaigne (avec lequel il a d'ailleurs travaillé), se balade, à poil, sur tous ces matelas et s'y frotte frénétiquement pendant un bon moment - la pièce parle puissamment au travers de son dispositif scénique. Et même si l'on déplore un peu le manque de texte et son caractère très décousu, on comprend qu'il sert l'écriture elliptique de Faulkner et la nouvelle exploration théâtrale que Séverine Chavrier est en train de mettre en œuvre.

L'intensité, pour nous, n'est pas encore au rendez-vous, mais peut-être faut-il apprendre à connaître mieux cette technique de scène pour y extraire des sentiments profonds et réellement dérangeants. Est-ce parce que le couple paraît si banal et si peu intriguant ? Est-ce parce que l'histoire n'est que celle, universelle, d'un couple d'amants pris par le feu de la passion puis par la déchéance face à la difficulté de vivre dans l'exclusivité ? Il faut cependant se confronter à ce style théâtral, revigorant, innovant et tout de même parlant.

Claire BONNOT

"Les Palmiers sauvages" d'après William Faulkner par Séverine Chavrier

Jusqu'au 25 juin
aux Ateliers Berthier, Odéon - Théâtre de l'Europe
1, rue André Suares, 75017 Paris

Du 18 au 25 juin, à 20 heures.
Durée : 1h45.