Dans une mise en scène très cinématographique, Ladislas Chollat et Thierry Debroux mettent à l'épreuve le plus légendaire président des États-Unis, un soir de mai 1962, juste après que Marylin Monroe herself lui ait susurré un très chaleureux « Happy Birthday ». Derrière l'image parfaite, des failles et peut-être même une malédiction ou l'envers du décor de la dynastie Kennedy révélé.
Un film est projeté sur une tenture en fond de scène : on reconnaît le drapeau américain, Fidel Castro, la première fusée pour la lune. Et d'un coup, s'y dessine une silhouette, magistrale, majestueuse, droite et menton haut. C'est Kennedy, John F. Kennedy, JFK, la légende.
Une écriture éclairante et pleine de suspense qui tient efficacement en haleine...
Dès les premiers dialogues, le ton est donné : images subliminales, informations égrenées comme une enquête en cours, punchlines. Le suspense est réel et l'émotion palpable. Surtout que les deux protagonistes qui se font face sont deux hommes, deux frères, deux puissants : John (alias Jack) et Robert (alias Bobby) Kennedy. Les relations sont pudiques et frontales à la fois. Un délice. Mais ce soir-là, ça parle vrai. Bobby (Dominique Rongvaux) attaque direct et nous fait entrer dans le cœur de l'histoire (ou avec un grand H) : « Il va se dire que le premier Président catholique des États-Unis couche avec la plus belle femme du monde. » Et de décrire comment les quinze mille démocrates ont vu Marilyn Monroe (« Celle qui fait bander la terre entière », dixit Bobby) dévoiler leur liaison supposée en poussant la chansonnette pour son Président adoré. La future réélection est mise en cause si son frère ne se tient pas mieux car la terre entière est tombée sous le charme de ce couple parfait et, surtout, comme le dit Jack lui-même, de Jackie. Bobby, Ministre de la justice, est constamment sur le qui-vive et espère raisonner son frère : « Je peux te raconter dans les détails comment tu t'envoies en l'air. » Même si ce n'est pas une découverte, on apprend que Kennedy a souvent une femme dans son bureau ou ses appartements. La raison ? Son mal de dos. Cela le soulagerait - « Je ne la trompe pas, je me soigne. Elle (Jackie) connaît mes besoins. Une femme qui a de la classe ». Car on découvre un John Kennedy infirme, dormant sur sa table de bureau pour soulager son dos, se traînant de fauteuils en fauteuils, attendant sa piqûre quotidienne, au bord de l'épuisement. Par touches de répliques subtiles et franches, on comprend tout, les images sont belles, les images sont fortes et l'écriture colle à l'idée que l'on a de cette Amérique qui se relève de tout, vaillante et presque orgueilleuse : « Le gamin qui était au sanatorium porte la moitié du monde sur ses épaules et c'est lourd pour mon dos », dit John, et d'enchaîner : « Un Kennedy ne hurle pas, ne pleure pas, ne se plaint pas. Papa serait fier de moi, non ? » Parce qu'il n'y a pas de mythes sans lignée et pas de tragédie sans Histoire avec un grand H, John F. Kennedy a été « désigné » (par le destin) pour porter le lourd fardeau de cette famille d'irlandais catholiques avide de pouvoir : « Dieu le père (son père) n'a pas réussi à le devenir lui-même (Président des États-Unis) donc il a bien fallu que quelqu'un s'y colle. » Le premier fils a servi et est mort en héros à la guerre, le deuxième, John, a pris le flambeau, lui l'infirme, qui passait de sanatorium en sanatorium. En ce soir de mai 1962, il rencontre une étrange jeune femme qui a réussi à s'infiltrer au quarante troisième étage : sous l'apparence de Marilyn, elle provoque le malade et le pousse à faire sortir ses démons et tourments psychologiques. Elle réapparaît une deuxième fois, sous les traits proprets, cette fois-ci, de Jackie. Sa présence quasi-spectrale devient évidente. Elle pousse Kennedy à faire un choix, celui de son destin, celui que tout (grand) homme a réfléchi au moins une fois dans sa vie : « Si tu meurs maintenant, tu seras toujours le bel homme au bronzage impeccable, sinon tu vis et tu montres qui tu es : cet homme en chaise roulante. » Quel « choix », quel pacte avec Dieu fera-t-il ? En tout cas, comme lui-dit son frère Bobby qui voit aussi cette étrange jeune femme non identifiée : « C'est facile pour toi, depuis que tu es enfant tu joues avec la mort. » Alors Kennedy dans l'intimité savait-il qu'il allait au-devant de sa mort ? Ou était-il fils d'une lignée maudite, mythique et mythologique, lui la légende, mort jeune et entré à jamais dans l'Histoire ? L'histoire est superbement ficelée et donne à voir toute l'étendue du mystère Kennedy.
... dans une superbe mise en scène où les comédiens font (re)vivre le mythe Kennedy avec une grande aisance
Entre les images d'archives projetées sur le rideau de la chambre d'hôtel, dans les tableaux entourant son bureau, l'étrange femme-conscience (ou autre...) ressuscitant Marilyn ou Jackie, les nombreux scotch que les deux frères avalent en discutant, le mythe Kennedy revit intensément et nous emporte très vite dans cet univers fantasmé, illustré maintes fois au cinéma mais jamais ressenti aussi proche qu'ici, sur les planches. Les comédiens sont formidables. Alain Leempoel a Kennedy dans la peau : mâchoire carrée d'américain idéal (un petit air de Robert Redford d'ailleurs), posture de vainqueur à toute épreuve même quand le dos ne tient plus et que la grimace vient remplacer le mythique sourire Kennedy. Ici plus émouvant que monstrueux comme on aurait pu s'y attendre (entre ses multiples coucheries et les calculs stratégiques pour être le Président parfait), il apporte une complexité finalement très théâtrale au personnage, illustrant bien ce fantasme mythologique. Dominique Rongvaux, Bobby, est émouvant en frère protecteur, angoissé quoique parfois un peu trop raide comme un piquet. Anouchka Vingtier, enfin, incarnation de toutes les femmes de Kennedy en une mais aussi et surtout de celle qui vécut toujours à ses côtés (La mort) - « C'est ce que j'ai été toute ma vie : un enfant qui va mourir. » - est virevoltante et charismatique. Ce trio plus vrai que nature associé à la mise en scène très cinématographique donnent l'impression de revivre un grand moment de l'histoire ou du moins d'en comprendre quelques clés et donne envie de se documenter à nouveau sur ce drame devenu légende. Ou quand le glamour croise l'histoire. C'est ce qu'on appelle un pari relevé.
Claire BONNOT
"Kennedy" de Thierry Debroux, mise en scène par Ladislas Chollat
Jusqu'au 30 juillet 2016 au Festival OFF d'Avignon
au Théâtre du Chêne Noir
8, rue Sainte-Catherine, 84000 Avignon
Tous les jours à 15h.
Durée : 1h30.