Dans une mise en scène très cinématographique signée Ladislas Chollat, la pièce dramatique de Florian Zeller, Le Fils, opte pour un ton très juste sur le mal-être existentiel d'un adolescent avant de sombrer dans trop de pathos. Malheureux car la confrontation père-fils - âge adulte/enfance - est d'une grande justesse.
Son père (excellent Yvan Attal, absent des planches pendant 6 ans) et sa mère (merveilleuse et délicate Anne Consigny) ont divorcé. Nicolas (le jeune espoir du cinéma français, Rod Paradot), dix-sept ans a, semble-t-il, du mal à s'y faire surtout depuis que son père est remarié et père d'un autre enfant. La mère vient avertir le père du comportement étrange de leur enfant qui leur ment depuis trois mois, lui, autrefois si lumineux, si joyeux. Il ne va plus en cours...
Des dialogues qui s'enchaînent avec une grande justesse mais qui pâtissent d'une mise en scène poussive
« Il a besoin de toi. Tu peux pas l'abandonner. C'était un enfant doux, tellement délicat. » Frêle et d'apparence brisée, la mère de Nicolas demande à son ex-mari d'aider leur fils et de jouer son rôle de père. Nicolas a demandé à vivre chez son père, celui-ci va décider de lui dire oui, malgré les réticences de sa nouvelle épouse, qui voit d'un mauvais œil l'entrée de cet adolescent tourmenté dans leur vie de jeunes parents d'un nourrisson. Le spectateur se questionne sur ce jeune garçon et l'enchaînement des dialogues et des réflexions de Nicolas est très pertinent car il tisse un lien réel avec les émotions du public qui, peut-être, a déjà vécu ce passage difficile et ressenti le fameux syndrome de Peter Pan. Nicolas ne dit-il pas à son papa : « J'préférais quand j'étais enfant » ? Les tentatives de dialogues de Nicolas avec son père, l'adulte qu'il admire le plus et qu'il pense sûrement être le plus adapté à cette vie qui l'effraie, sont totalement bouleversantes car le dialogue semble dès le départ coupé à jamais : « Il me comprenait pas quand je lui ai dit que j'allais pas bien. Il avait besoin d'une explication rationnelle. Tu vois comment il est. » tandis que le père dira « Il a tout pour être heureux et il fait rien ». Qui ne se reconnaît pas dans ces essais avortés de livrer son mal-être pour avoir une réponse qui ne vient pas ou qui ne satisfait pas : « C'est la vie qui me pèse. Je voudrais que quelque chose se passe mais je sais pas quoi. » Florian Zeller joue avec notre petit cœur en faisant osciller son personnage entre une certaine normalité et des pensées chocs, non pas par perversion mais pour bien illustrer la réalité terrible de l'angoisse, de la dépression naissante et de la perte de goût pour la vie de cet adolescent : « J'ai l'impression que je suis pas fait pour vivre. J'ai envie que ça s'arrête. » Comment réagir face à ça ? Peut-on sauver quelqu'un qui ne peut ou ne veut pas se sauver ? C'est la question que pose cette pièce très dure et pourtant très forte par son réalisme. Seul le pathos exacerbé de l'ensemble dessert ce spectacle au message universel : apprendre à communiquer et tout faire pour se comprendre est la clé de l'humanité.
De très bons acteurs qui jouent cependant trop les tire-larmes
Si le jeu de Rod Paradot trouble et questionne un peu au début - oscillant qu'il est entre la représentation du malaise et la gaucherie de l'adolescence - on concède à ce jeune homme pur et nature dans la vraie vie, une véritable capacité à émouvoir voire à faire frémir. Yvan Attal est réellement magistral dans son rôle de père qui a oublié qu'il avait été adolescent, empêtré dans les soucis du boulot, appelé par sa nouvelle vie et délaissant sans le vouloir son premier enfant. Il parvient totalement à illustrer la frontière terrible qui s'installe souvent entre les enfants et les adultes, celle de l'incompréhension, celle du langage qui n'est plus le même, entre la maturité face au sens de la vie et les questions incessantes d'un enfant qui a peur de faire le grand saut. Les deux actrices - les deux mères, Anne Consigny et Elodie Navarre - sont à la fois en retrait et centrales dans ce drame familial mais finalement intime, face auxquelles elles ne seront qu'impuissantes. Malgré ces très belles performances, il ressort de cette pièce une atmosphère beaucoup trop oppressante pour qu'elle conserve sa justesse apparente. On frôle le mélo télévisé façon thriller et, la gorge indéniablement serrée, on refuse de faire surgir des larmes qu'on a l'impression de s'être faites arracher. Le théâtre devrait être un véritable sanctuaire des émotions pures mais intimes, pudiques, délicates, en un mot, libres. Ici, malheureusement, le final est trop abrupt, engoncé dans une musique tellement forte et mélodramatique qu'on a risqué la nausée. Mais n'est-ce pas parce qu'il devait y avoir un final éclatant, percutant, et que le théâtre a peur de ne plus exister face aux rebondissements incessants des séries toutes puissantes ? À l'inverse, la pièce numéro 2 de la trilogie familiale de Florian Zeller, Le Père (2012), avait réussi avec beauté et bonté à toucher au cœur le spectateur face à la terrible réalité de la maladie d'Alzheimer et de la vieillesse. Le théâtre est là pour nous faire ressentir ces infimes petites choses que la vie réelle, parfois, occulte trop bien. Si le début de la pièce Le Fils est passionnante et essentielle et rappelle, en phrasé moderne et donc peut-être plus intelligible par les jeunes d'aujourd'hui, les angoisses existentielles de Kostia dans La Mouette de Tchekhov, la fin donne une réponse claire et nette, ne permettant pas au spectateur d'avancer dans son cheminement personnel. Triste fin.
Claire Bonnot
"Le Fils" de Florian Zeller par Ladislas Chollat
Jusqu'au 14 juillet 2018
à la Comédie des Champs-Élysées
15, avenue Montaigne, 75008 Paris