"Maja" de Maud Lefebvre : apprivoiser le loup qui est en soi

À voir si : vous avez le cœur tourmenté

Du 5 au 25 juillet 2019 à 16h45
à la Manufacture

© Clément Fessy, Jean-Antoine Raveyre

© Clément Fessy, Jean-Antoine Raveyre


« Je vais vous raconter l’histoire. Vous êtes prêts ? »

Maja, Maud Lefebvre


Porté par une mise en scène intense, qui emprunte ses effets oniriques et angoissants au cinéma, « Maja » est un conte moderne à la fois déroutant et saisissant. Si le fond manque un peu de densité, la forme et les interprétations fascinantes sont à privilégier, livrant un bel objet théâtral, inédit, poétique et puissamment imaginatif pour le public appelé à se projeter.

« Je vais vous raconter l’histoire. Vous êtes prêts ? » Et le noir se fait… Dans la petite salle intimiste Intra-Muros de La Manufacture, une atmosphère de conte du soir s’installe et nous ouvrons grand nos cœurs, nos yeux et nos oreilles, un peu enfants ou tout à fait spectateurs justement. Un enfant - et non un adulte, cette fois -, prénommé Maja, va nous conter l’histoire de son père après la perte de sa mère…

Le voyage vers ce pays imaginaire initiatique est puissamment imagé, entre ombres et lumières, souffrances et joie, incompréhensions et maturations. Une très belle proposition scénique tout en pudeur et esthétisme.
— Apartés

Il était une fois… l’histoire d’un adulte qui se transforma



Ils vécurent heureux… et nous voici projetés dans l’intimité d’une jolie famille où le père, la mère et le fils dansent, s’aiment et vivent ensemble, sourire aux lèvres, yeux pétillants. Mais ils eurent peu de temps… quand la mère disparut. L’atmosphère devient alors triste et pesante, le père, hagard, le fils, en attente (Kathleen Dol, très juste). En attente de l’attention du père, de sa tendresse envolée. Rien n’y fait : quand la joie revient s’installer à petit pas, la souffrance du père sort bien vite ses griffes. Et un soir, un loup entre, le père tire et Maja disparaît. Fou de rage et de désespoir, l’adulte part alors sur les routes pendant des jours et des nuits, des semaines et des années sans ne jamais rien trouver. Mais quand il rentre chez lui, un cauchemar s’empare de lui : il croit rêver, retrouver le loup et le tuer. Mais chaque fois, il faut s’y atteler encore et encore, jusqu’à l’épuisement sans jamais que le fils, Maja, ne réapparaisse. Quand la confrontation s’apaise entre le père et le loup, l’homme et l’animal, l’être humain et sa part indomptable, Maja reviendra. Cette histoire qui joue habilement sur les codes du conte initiatique et de la peur bleue associée au « grand méchant loup » est subtilement amenée et apporte une conclusion belle et inattendue sur la part « monstrueuse » de l’adulte en souffrance. Elle ne sera pas anéantie, effacée, elle ne le peut pas, elle sera reconnue, apprivoisée et domptée. Le fils viendra alors s’approcher du loup, le rencontrer, connaissant ainsi l’être véritable et profond de son père, en-dehors de toute illusion enfantine. Inversant les rôles du conte pour enfants, la pièce s’attache à faire grandir l’adulte pour que l’enfant puisse s’épanouir en toute vérité et compréhension du monde complexe qui l’entoure.

Promenons-nous dans la pièce, pendant que le loup est là…

Comme une fable poétique et symbolique, la pièce de l’auteure et metteuse en scène Maud Lefebvre ne s’embarrasse que de peu de mots et de décors et emporte loin dans l’imaginaire avec une impressionnante mise en scène qui joue sur des effets de lumières (Valentin Paul), de fumée et de clair-obscur hypnotisants. Quand le loup surgit dans un coin de la salle, l’effroi nous étreint : la marionnettiste (Cristina Iosif) manie la bête avec une agilité saisissante qui prend alors réellement vie sous nos yeux effrayés. En miroir, l’acteur qui joue le père (excellent Arthur Fourcade) affiche une mine bestiale et un souffle haletant mimant avec force ce loup dévastateur qui le dévore de l’intérieur. S’il manque un prologue plus fouillé à cette histoire, le voyage vers ce pays imaginaire initiatique est puissamment imagé, entre ombres et lumières, souffrances et joie, incompréhensions et maturations. Une très belle proposition scénique tout en pudeur et esthétisme.

Claire Bonnot

“Maja” de Maud Lefebvre à La Manufacture à Avignon du 5 au 25 juillet 2019 à 16h45