À l’image de ton poète « qu’un jour a perdu les mots », Ezra, dans ta pièce « Les Étoiles », tu dis t’interroger sur l’échappée poétique quand la vie réelle s’écoule… C’est très beau le parallèle que l’on vit entre le poète Ezra qui s’enferme, en quelque sorte, dans sa création, ne s’incarnant plus dans la vie réelle, et le poète pur, l’enfant, l’idiot du village, l’Oncle Jean, qui parvient, lui, à vivre l’amour… Quel est ton rapport à la réalité et comment tu t’en échappes ?
L’Oncle Jean est le plus poète de tous. C’est peut-être la vie rêvée, la vie de l’Oncle Jean… Ce rapport à la réalité est une question centrale de ma vie. J’ai énormément travaillé pour que ma vie soit pleine, pour essayer de vivre une vie poétique et, en même temps, une vie de travail. Et je l’adore, cette vie là ! Et, en même temps, j’ai - et c’est normal - peur de passer à côté d’une autre vie. En ce moment, la sagesse commence à venir et j’essaye de me dire que, en fait, c’est peut-être possible de vivre les deux vies. En ce sens, mon rapport à l’écriture est un rapport solitaire. J’ai besoin d’être seul dans mon appartement, je ne peux pas écrire s’il y a quelqu’un qui est présent même s’il est dans la chambre d’à-côté. La sensation qui peut être très dure, c’est ce rapport à la solitude qui est comme un passage obligé pour moi dans mon rapport à l’écriture. Il y a forcément un moment où, en tant que créateur, on est un peu seul au monde. Même quand on est chef de troupe. Les gens pourraient se dire qu’on est tout le temps entouré et que tout va bien mais en fait quand tu es à cette place-là, tu es un peu dans une solitude entourée. Ça me questionne énormément ! J’ai peur de passer à côté d’une vie simple et, en même temps, je suis le plus heureux des hommes en faisant ça. Je n’arrive pas à prendre de vacances mais j’aimerais pouvoir poser un tout petit peu la plume.
« Les Étoiles », dis-tu, serait le négatif du « Petit Poucet », dans le sens où le personnage du petit poucet est sauvé par le théâtre tandis que le héros de ta création, Ezra, s’y enferme… Tu semble être un auteur-poète de tes propres questionnements intimes…
Oui, mes pièces, et surtout « Les Étoiles », sont une sorte de mosaïque de moi-même. Quand Wajdi Mouawad, directeur du Théâtre de la Colline, est venu voir « Le Nid de Cendres » et m’a proposé de faire ma prochaine création, c’est allé très très vite. On était en mars 2019 et la création devait se faire pour novembre 2020, je n’avais pas écrit du tout, je l’ai fait l’été 2019. Comme c’était la première visibilité parisienne pour la Compagnie, je me suis dit « Il faut que je revienne à mon endroit le plus intime ». ». Un peu dans ma chambre. Et c’est pour ça que le décor ressemble à une chambre. Je me suis dit « Je vais faire un spectacle dans ma chambre ». Et j’y ai tout mis. Des choses très intimes. Comme ce fameux Oncle Jean. C’est un homme qui a existé dans ma famille mais que je n’ai pas connu car il est mort l’année de ma naissance. Il était une sorte d’idiot dans le très beau sens du terme, il a toujours vécu avec ses parents. Le Pierre dans la pièce, le père, ressemble énormément à mon père… Un jour, mon père était venu voir « Le Nid de Cendres » et il m’avait dit « C’est fou, je te vois et je t’entends dans chaque personnage », alors qu’il y a cinquante personnages… Mes pièces sont comme un miroir brisé de moi-même avec lequel je refais une mosaïque. Et j’ai l’impression que plus on est proche de soi-même et de l’intime, plus on peut passer à un endroit universel. Il y a un côté intemporel dans cette pièce. Elle est hors de l’actualité. Et ça, c’est très important pour moi parce qu’on est submergé par l’actualité, partout, tout le temps, et j’ai justement l’impression qu’il faut la fuir. Et que c’est d’ailleurs la meilleure façon pour parler du monde passé, à venir…